1929, Chicago : Joe et Jerry, deux musiciens de jazz, - interprétés respectivement par Tony Curtis et Jack Lemmon -, sont témoins malgré eux d’un règlement de compte entre gangsters. Obligés de prendre la poudre d’escampette, ils intègrent un orchestre féminin qui part direction la Floride. Pour se faire, ils se travestissent en femmes et deviennent Joséphine et Daphné. Là, ils font la connaissance de Sugar, la chanteuse de l’orchestre, dont le sex-appeal va menacer leur supercherie parfaite.
Présenté dans la sélection « Grands classiques en noir et blanc » au quatorzième festival Lumière, Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, six fois nominé aux oscars, est considéré par bon nombre de cinéphiles comme LA comédie incontournable. La recette de son succès ? Un cocktail d’acteurs légendaires, d’humour grin-çant, de situations impossibles, le tout dans un rythme soutenu et une bonne dose de modernité…bref, on vous explique ça à travers cinq bonnes raisons de (re)voir le film :
1. Le choix du travestissement : un pari gagnant
Eh oui, le film a pour personnages principaux deux travestis : simple idée qui fera fuir en courant le très cher Frank Sinatra, approché par Billy Wilder pour interpréter le rôle de Daphné. Cependant, ce travestissement obligé des deux amis qui leur sert d’abord à se cacher des gangsters, va se révéler d’une autre fonction pendant le film…
En s’efforçant d’être les plus crédibles possibles, ils adoptent des voix et attitudes féminines, mais aussi robes, collants, talons : bref, tout ce qu’il y a de plus inconfortable pour les femmes des années 1960. D’autant plus que nos deux héros vont comprendre qu’être une femme, c’est sans cesse faire face aux regards des hommes, les réifiant. Ce déguisement a donc d’une part l’avantage d’être une bonne piqûre de féminisme, vivant dans la peau d’une femme les avances masculines brutales, voir aggressives.
Mais surtout, derrière leur travestissement, les deux hommes sont paradoxalement libérés des attitudes viriles, et autres attendus à l’égard de la gent masculine. Ainsi émancipés, ils révèlent diverses facettes insoupçonnées de leur personnalité qui ne semblent plus craindre le ridicule. On en finit même par oublier leur nom d’hommes : ils deviennent pour nous les emblématiques Daphné et Joséphine. S’établit donc une confu-sion de leur identité sexuelle, plus prononcée chez Daphné, qui est séduite peu à peu par un milliardaire. Le film tend ainsi vers un traité pour la tolérance, que résume si bien son mot de la fin : « Personne n’est parfait ».
2. Étonnant de modernité
Ne vous arrêtez pas au noir et blanc : ce film est définitivement moderne ! Le titre annonce lui-même la couleur, avec l’ambiguïté de « chaud ». Wilder se défendra en disant qu’il s’agit en fait du jazz « hot », un courant du jazz qui a pour particularité son recours à l’improvisation, mettant ainsi en avant la virtuosité des musiciens.
Mais le ton provocateur de l’œuvre ne va pas nous échapper, d’autant plus lorsque l’on a connaissance du contexte d’alors. En effet, Hol-lywood connaît depuis 1934 la censure instaurée par le Code Hayes (qui tient son nom du séna-teur à son origine). Très strict, il est le fruit de l’Amérique puritaine et établit plusieurs principes d’autorégulation dont voici une petite liste non-exhaustive :
- Ne jamais adopter le point de vue du crime ou du péché
- Représenter des standards de vie corrects
- Ne pas ridiculiser la loi
Du côté de la représentation de la sexualité, le couple doit être de préférence marié, l’acte sug-géré, pas de baisers « profonds et lascifs » et la passion ne doit transparaître que dans des scènes qui restent « au-dessus de la ceinture », le tout sans aucun mélange « interracial » -bien entendu-.
Bref, autant dire que les cinéastes sont très limités, le champ des possibles étant miné. Il est néanmoins intéressant de voir comment les scénaristes s’amusent à détourner la censure, suggé-rant toutes ces choses interdites à grand renfort de malice et d’idées ingénieuses. Le travestissement, le train qui siffle Marylin… et autant de situations ambiguës sexuellement parlant que l’on imaginait impossibles alors, et rendues possibles grâce au génie des deux scénaristes.
On peut noter aussi la modernité de la réalisa-tion de Wilder, qui ne craint pas d’opter entre autres pour un montage alterné et quelques panoramiques filés, composant un rythme particulièrement entraînant et novateur.
Conclusion ? : le film vieillit superbement, et c’est un régal pour les spectateurs souvent agréablement surpris par tant d’audace.
3. La légendaire marylin monroe
Cette œuvre est aussi l’occasion de contempler Marylin Monroe dans l’un de ses rôles les plus cultes. Sugar est l’incarnation de la tendresse, mais est paradoxalement inconsciente de son sex-appeal, à son summum lorsqu’elle interprète le très envoûtant I Wanna Be Loved By You. Cependant elle confie à plusieurs occasions à Daphné et Joséphine qu’elle cherche le véritable amour, et l’on comprend qu’on a abusé d’elle plusieurs fois par le passé. Ainsi Sugar est telle une princesse sommeillant dans sa tour, attendant désespérément le prince charmant tandis que d’autres prétendants y grimpent. Désespoir qu’elle noie en buvant, et qui renvoie à celui de l’actrice, victime des stigmatisations perpé-tuelles des hommes. Marylin, alors enceinte, refuse d’abord le rôle qu’elle trouve trop niais, mais finit par l’accepter, son couple avec Arthur Miller rencontrant des difficultés financières. Néanmoins, si l’actrice réussit sublimement à donner de la profondeur au chagrin immense de Sugar, elle détestera toujours le film.
4. Le duo comique CURTIS / LEMMON
Se présentant d’abord comme un film de gangster, Certains l’aiment chaud est en fait une comé-die. Non sans rappeler Laurel et Hardy, ou plus récemment, Pierre Richard et Gérard Depardieu ou Eric et Ramzy, le topos du duo comique est ici repris avec Tony Curtis et Jack Lemmon. En effet, on y retrouve d’une part le meneur rationnel et de l’autre, le niais, rêveur et excessif.
Ici, tous deux succombent rapidement au charme de Sugar, et se retrouvent ainsi amis-ennemis. Mais surtout, tels des loups dans la bergerie, ils sont perpétuellement plongés dans des situations impossibles, à l’origine d’un véritable comique de situation. Néanmoins, l’un et l’autre se complètent parfaitement bien, et chacun finit par trouver sa voie, dans cet imbroglio de confusions.
Si Curtis se veut moralisateur et a souvent le dernier mot, Lemmon, moins artificiel, lui renvoie ses quatre vérités à la figure. Il y a donc entre eux à la fois un lien fort, hérité de leur passé misérable à se serrer les coudes, et aussi un effet miroir, leur renvoyant leurs propres différences.
5. Un coup de maître signé Billy WILDER
Né en Pologne, Billy Wilder est d’abord journa-liste puis scénariste. Il fuit l’Allemagne nazie au début des années trente et réalise son premier film en France. Il arrive ensuite aux Etats-Unis où il est scénariste pour Ernst Lubitsch ou ennus cultes.
Au-delà de la collaboration professionnelle, les deux hommes partagent une amitié profonde, racontée dans Mr. Wilder et moi de Jonathan Coe dont on vous conseille vivement la lecture.
Au-delà de la collaboration professionnelle, les deux hommes partagent une amitié profonde, racontée dans Mr. Wilder et moi de Jonathan Coe dont on vous conseille vivement la lecture.
En définitive, impossible d’oublier cette œuvre qui chamboule nos attentes, résonnant avec les sujets de société liés à notre époque contemporaine. Nous faisant rire pour mieux nous questionner, son audace est le fruit d’une grande virtuosité, faisant d’elle un film définitivement culte. On ne s’en lasse pas !
Illustration issue de Certains l'aiment chaud
de Billy WILDER