De nouvelles séries animées à destination des adultes émergent depuis quelques années et sonnent le renouveau du genre. Parmi elles, Bojack Horseman de Raphael Bob-Waksberg et Rick and Morty de Justin Roiland et Dan Harmon savent réunir succès public et reconnaissance critique. Ces séries, bien que profondément tragiques, arrivent à plaire et amuser le spectateur par un style narratif nouveau que l’on pourrait qualifier de mélancolie cathartique.
Bojack Horseman, série Netflix, conte la vie du personnage éponyme, cheval anthropomorphique et ancienne star d’une sitcom des années 90, tombé dans l’oubli et la dépression. Bojack, alors à la recherche d’une notoriété disparue, cherche à revenir sur le devant de la scène en décidant d’écrire son autobiographie. Face à une vie stérile et à l’angoisse de la page blanche, il se réfugie dans l’alcool, la drogue et le cynisme.
Rarement une série nous aura fait goûter à ce point la douleur amère de ses personnages en détruisant tout ce qui compte à leurs yeux. Les protagonistes avancent en désirant que les choses s’améliorent, mais ils ne font que rencontrer des situations d’un tel tragique que leurs espérances sont constamment mises à mal et que le temps qui passe devient alors un fardeau. Ici, ce qui est détruit n’est pas remplacé et devient fantôme, à l’image du « D » mystérieusement volé au célèbre panneau « Hollywood », transformant pour le reste de la série le nom du quartier iconique.
Détruire, c’est accepter les consé- quences et c’est le propre de Bojack, abominable égoïste dont les maladresses envers ses proches deviennent de terribles regrets qui hantent encore un peu plus l’homme-cheval. La distance se creuse progressivement au long de la série entre la sitcom naïve et légère d’autrefois et une vie emplie de l’accablant dégout de soi-même.
Rick and Morty raconte, d’une autre manière, cette terrible mélancolie. La série produite par Adult Swim se veut d’abord comme une parodie grossière des Retour vers le Futur de Robert Zemeckis. Elle pastiche ainsi le duo iconique avec Rick, savant fou, ivrogne et violent, et son petit-fils Morty, en- fant aussi bienveillant que niais. Entourés par une famille constamment au bord de la rupture, les deux protagonistes se retrouvent sans cesse confrontés à d’incroyables histoires mêlant excursions galactiques et autres voyages multidimensionnels. Série faisant preuve d’un comique certain, il n’empêche qu’elle se révèle, par bien des égards, tout aussi glaçante. Le tragique se joue ici dans le trauma de ses personnages, en particulier Morty. Ses voyages surréalistes avec son grand-père le confrontent à de terribles événements, comme le meurtre de sa famille ou encore l’éradication brutale de ses clones. La violence dans Rick and Morty est terrible. Elle est aussi bien physique que morale, ubiquiste et absolue. Le rêve simple du père, cherchant le bonheur au boulot et dans son couple, se retrouve toujours brisé, le désespoir de la mère incapable de rendre les choses meilleures finit toujours par se compenser dans l’alcool. Le dernier rempart semble être Rick, lui qui a toujours une réponse pragmatique face à toutes ces horreurs. Mais la série arrive prodigieusement à nous faire douter de ce dernier espoir en transformant ce personnage en un clown triste dont les blagues ne sont qu’un appel à l’aide.
Alors quoi ? Comment de telles histoires, profondément tragiques, arrivent-elles à susciter l’intérêt du public ? Il faut certainement voir en ces séries une invocation des maux de notre société. Rick et Morty traversent moult fois la galaxie, mais ils restent un vieil ivrogne désespéré et un enfant considéré par tous comme stupide et incapable. La réelle aventure de ces héros ne réside pas tant dans le déroulement de leurs péripéties, mais plutôt dans le combat mené contre la froide mélancolie à laquelle ils font face. Et c’est en partie ici que se joue l’effet cathartique de ces deux fictions.
Bojack Horseman et Rick and Morty évacuent les pires angoisses de son au- dience, celles de notre monde contem- porain en crise, où l’échec n’est pas récompensé, et ce en mettant en scène les échecs cette fois hors normes de nos héros. Leur tristesse devient telle- ment absolue qu’elle occulte la notre. Leurs mondes sont si cruels envers eux que celui que nous côtoyons en devient beaucoup plus acceptable. Et c’est bien en voyant leurs luttes insensées en vue d’atteindre le bonheur que se crée l’espoir chez le spectateur. Dans ces deux séries, on ne peut obtenir un plaisir dans l’accomplissement de la valeur travail, dans la réussite professionnelle et donc sociale, qui se révèle être le plus souvent objet de déception, mais plutôt dans un rapport humaniste, dans l’entraide amicale ou l’affection de la famille.
C’est parce que Bojack sait parfois trouver le réconfort dans son entourage, ou que Rick et Morty dégagent une forte complicité mutuelle, que ces personnages continuent malgré tout d’avancer. Leurs tentatives de résister au monde moderne, devenu leur antagoniste, deviennent l’écho d’un appel d’espoir pour le spectateur.
La tristesse en ressort magnifiée et ce sont bien des dessins animés, meilleures réminiscences de l’enfance, qui nous réconfortent et nous apaisent. Bojack Horseman et Rick and Morty savent répondre aux préoccupations nouvelles de leur pu- blic et en profitent pour enthousias- mer la critique. Elles montrent que les séries animées à destination des adultes évoluent et peuvent gagner en profondeur.
À l’heure où les maitres du genre peinent à se renouveler et déçoivent, cette nouvelle génération nous montre la voie, celle menant à un divertissement de qualité. Ayant su profiter de cette faille pour s’affirmer et peut-être remplacer ses prédéces- seurs, cette génération est à l’image du sketch du canapé de The Simpsons dans lequel Rick et Morty écrasent et déchiquettent la famille américaine aujourd’hui d’un autre temps.