Braguino, voici le nom d’un village situé au fin fond de la forêt sibérienne, où vit en autarcie depuis trente ans la famille de Sacha Braguine, issue d’une communauté orthodoxe minoritaire rejetant l’autorité de l’Etat russe, les Vieux croyants. Une utopie (un non-lieu, un lieu où nul ne pénètre) d’emblée menacée, puisque, à quelques mètres, une seconde famille n’a pas tardé à s’installer. Sur fond d’une rivalité latente et d’un impossible partage de l’es-pace, pourtant infini - on est proche d’une atmosphère de western -, les aventures quotidiennes de cette communauté tissent la trame d’un huis-clos documentaire captivant. Aux côtés des têtes blondes, au milieu des regards curieux et farouches de la fratrie Braguine, au plus près des corps et des dangers qu’ils affrontent (la chasse à l’ours en est que l’exemple ultime), nous plongeons dans un monde où coexistent l’humain, l’animal, le végétal et le spirituel, quatre points d’une constellation à travers laquelle se tisse la vie.
Une vie dont l’intensité et la sen-sation sont très habilement recueillies par le cinéaste, naviguant avec justesse entre l’intimité du foyer et l’immensité des paysages nimbés par la lumière poudreuse d’un crépuscule sans fin. Venu sans scénario prédéfini, avec la volonté de filmer une communauté, d’en interroger les fondements, la croyance sur laquelle repose sa cohésion, Clément Cogitore choisit à cette fin le par-ti d’une observation participante, en immersion dans la réalité filmée et en constante adaptation face à celle-ci. Dans l’angoisse d’un souffle, dans l’aboiement des chiens à la tombée de la nuit, la caméra frôlante donne à sentir, à éprouver un espace où l’immense sentiment de liberté qui le caractérise est voué à bientôt disparaître.
Photographie Manon Gindre