Cinéma coréen : une industrie sous influence ?

Lim Hyeon-ju, présentatrice de la matinale de la chaîne MBC, a provoqué un véritable scandale en portant une paire de lunettes au lieu de lentilles de contact. C’était bien la première fois que cela arrivait dans l’histoire de la Corée, où les femmes sont censées respecter certaines injonctions vis à vis de leur apparence, et en particulier dans le cadre du travail, où des règles implicites ne s’appliquent qu’à elles. En portant des lunettes, Lim-Hyeon-ju envoit un signal de résistance à la société coréenne et à ses pratiques machistes.

« Fondée sur le confucianisme, dans la société coréenne, la cohésion de groupe est plus importante que l’individu ; il faut avoir une apparence en harmonie avec celle des autres, que tout le monde soit pareil.»1 Or, bien que les dogmes traditionnels perdurent dans la culture et la société coréenne, le pays est devenu un pays profondément libéral. Un phénomène facile à remarquer chez les stars de la K-Pop ; internationalisation rime avec standardisation des apparences dans cette industrie musicale en plein essor.

Cette tension entre traditionalisme et capitalisme a pris place dans les années soixante-dix. A cette époque, la Corée du Sud connaît une transition extrêmement rapide, en passant d’un pays tiers-mondiste à un des pays les plus développés et riches de la planète. Mais ce développement a été aux prix de certains sacrifices d’indépendance.

Une double censure, du scénario et du montage, a longtemps réduit les possibilités des cinéastes coréens. Aussi bien sous la présidence de Park (homme militaire, qui arrive en pouvoir après un coup d’État en 1961 et y reste jusqu’à son assassinat en 1979), que sous la présidence de Chun Doo-hwan, jusqu’en 1988 la censure demeure un frein important au développement de la cinématographie coréenne.

Ce qui a été appelé « la nouvelle vague coréenne » vu le jour dans les années quatre-vingts en parallèle des manifestations nationale des étudiants, enthousiasmées par les idéologies socialistes. Le gouvernement militaire fut tout d’un coup mis à mal et un nouveau souffle pu prendre dans les milieux artistiques. La nouvelle génération a « grandi dans des circonstances bien différentes de celles qu’avaient vécues leurs parents. Les jeunes qui ont vu leur pays passer d’un statut quasi féodal à celui de grande puissance industrielle et économique» 2 ne se laissent pas faire. Cette envie de changement n’a vraisemblablement pas plu au gouvernement, qui a régit très violemment : 600 personnes ont été tuées lors du massacre de Kwangju en mai 1980.

Une majorité des cinéastes, comme Park Kwang-su, Jang Sun-woo, Park Jong-won, Kim Ui-seok, Chung Ji-young etc. ont commencé leur carrière au milieu de ces soulèvements qu’ils ont largement soutenu. Mais rapidement les années quatre-vingt dix arrivent, et comme dans de nombreux pays dans le monde, la mouvance révolutionnaire se calme. En Corée, arrive enfin la transition vers la démocratie, qui permet aux cinéastes coréens de se lancer librement dans de nouvelles expériences.

Le changement de régime est accompagné de l’entrée du libéralisme et du capitalisme dans l’économie coréenne. Pour s’ouvrir au monde, le nouveau gouvernement révise la loi sur les importation des films étrangers et enlève les quotas, qui obligeaient les sociétés de productions à produire un certain nombre de films nationaux pour obtenir le permis de distribuer un film étranger (les sociétés de production étant souvent en Corée du Sud part d’un groupe faisant également de la distribution). Cette révision va donner une hausse sans précédent des importations de films et en particulier des blockbusters américains : 84 films importés en 1986, 176 en 1988 et 264 en 1989. Pour la première fois, des sociétés de productions américaines s’installent à Seoul ; c’est le début d’United International Pictures en 1989. Le poids du cinéma américain commence à se faire sentir sur le marché, au point de faire de l’ombre à la production coréenne : conséquence, dès 1992, les sociétés de production coréennes font faillites les unes après les autres.

Pour survivre, au lieu de revenir sur l’ancien modèle protectionniste, l’industrie audiovisuelle choisit au contraire d’adopter critères, codes et standards américains pour le poursuivre sur le marché mondial. En 1991 le ministère de la culture commence la construction du Seoul Film Studio Complex, inspiré des plus grands studios hollywoodiens. « Offrir au spectateur ce qu’il désire », une phrase qu’on l’en-tendait assez souvent à cette époque dans l’industrie cinématographique et dont la mentalité perdure encore aujourd’hui.

Ainsi fut l’arrière-plan de la renaissance du cinéma coréen et sa transformation en une véritable industrie au début du XXIème siècle. Les jeunes, en grand nombre, partent étudier le métier aux États-Unis et reviennent en Corée pour appliquer leurs nouvelles connaissances des techniques cinématographiques. De plus, la Corée du sud est le pays plus informatisé du monde, et l’un des plus développé économiquement et technologiquement. Les circonstances sont donc toutes prêtes pour instituer un « Hollywood séoulienne ». De gigantesques studios s’érigent dans la capitale par des entreprises de divertissement, qui sont pour la plupart liées à des compagnies américaines et dont les ressources reposent sur d’autres industries.

A titre d’exemple, les trois plus grandes sociétés de production et de distribution sud-coréennes sont directement reliés aux Etats-Unis : CJ Entertainment, est une filiale de CJ Group, un conglomérat spécialisé dans l’agroalimentaire qui en 1995 investit dans le studio DreamWorks de Steven Spielberg et ses associés, et crée au même temps, sa propre division de divertissement. Showbox ; Mediaplex Co. fondé en 2002, est une filiale d’une entreprise de confiserie, Orion Group ; enfin Lotte Cultureworks, fondé en 2003, est la filiale de Lotte Corporation, un conglomérat japonais-coréen, en contrat d’exclusivité pour distribuer les films américains de la Para-mount en Corée. C’est ainsi que neufs films sur les dix plus gros succès au box-office coréen ont été produits par une de ces trois compagnies. C’est cette stratégie d’alliance avec les États-Unis qui va paradoxalement permettre au cinéma coréen d’éclore, puisqu’elle va rediriger le public vers les films nationaux, et ce, au détriment des films hollywoodiens.

Difficile également de ne pas remarquer le changement thématique des films coréens actuels : la guerre de Corée ou des affaires d’espionnages entre les deux Corées est omniprésente. Le développement économique et technique de l’industrie permet aux cinéastes de s’engager dans des sujets plus ambitieux. Alors que dans les années 80-90, le cinéma coréen se concentrait sur des drames familiaux et sociaux ou bien sur des films réalistes traitant des problématiques de la classe moyenne, ces deux dernières décennies ont vu naître des films de genres bien plus onéreux en terme de coût de production : science-fiction, fantastique, épouvante, thriller, film d’action, historique, etc. Des films, comme : Le Roi et le Clown 2005, The Host 2006, Masquerade 2012, Roaring Currents 2014, Veteran 2015, Along With the Gods : Les Deux Mondes 2017, ou Extreme Job 2019, sont destinés non seulement au peuple coréen mais aussi, à l’instar des séries télévisées et des chansons de K-pops, au monde entier.

D’autres pays en Asie, avec un volume aussi important de production cinématographique, ont tenté de concurrencer les États-Unis : le Japon par exemple, dont le développement cinématographique a commencé beaucoup plus tôt. Mais l’idéologie nationaliste japonaise, particulièrement présente jusqu’en 1945, et autres caractéristiques culturelles ont empêché le pays de conquérir le marché international en masse au même titre que la péninsule voisine.

Pour conclure, on remarquera que l’industrie cinématographique n’est pas un cas isolé en Corée du Sud. Les gigantesques compagnies LG, Samsung, Hyundai etc. ont envahi les marchés mondiaux avec la même stupéfiante rapidité.

1 Citation de Juliette Morillot dans l’article « Sensation en Corée du Sud, une journaliste garde ses lunettes à la TV », écrit par Ed-die Rabeyrin, apparu sur le site www.la-croix.com le 13/04/2018.

2 Citation de l’article « Un cinéma au-delà de la politique. La nouvelle vague coréenne dans le contexte est-asiatique » de Tony Rayns, publié dans « Le cinéma coréen » Editions du Centre Pompidou, Paris, 1993.

Ali NADALI 19 mars, 2023
Ali NADALI 19 mars, 2023
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Une filmographie pour découvrir la culture coréenne et son cinéma