Docteur Caligari : à la découverte d’une suite méconnue

Lors du dernier festival Hallucinations Collectives qui s’est déroulé à Lyon cette année, j'ai pu voir sur grand écran une projection du “remake/suite” du Cabinet du docteur Caligari, aka Dr. Caligari (1989). Une version pop du classique du cinéma expressionniste allemand tourné par un ancien photographe érotique de Hustler, créateur de posters comme celui de The Fog (1980) et n'ayant pratiquement tourné que pour des publications érotiques comme Café Flesh ou Party Doll A Go-Go. Suite à ce visionnage, je me suis aperçu qu'il s'agissait d'un film méconnu tombant dans l'oubli. Ce festival de films étranges m'a permis de le découvrir dans des conditions idéales et j'aimerais ici partager l'expérience que fut ce film, tout en tentant de vous convaincre de le voir. Je vais également tenter de le comparer avec l'original à la fois narrativement et esthétiquement. Au cours des prochaines lignes, nous ferons une brève histoire du film et nous verrons ce qui le rend si unique et intéressant d'être redécouvert aujourd'hui.


Le film reprend l'histoire du film Le cabinet du docteur Caligari (1920) par Robert Wiene, c'est-à- dire les méfaits et mésaventures perpétuées par l'éponyme docteur Caligari, chef de l'asile dans une petite ville, aidé de son somnambule Cesare.

Genèse du projet

Cette version est aujourd'hui reconnue comme une pierre angulaire du cinéma expressionniste allemand et ayant impacté, par ses décors, son jeu d'ombres, la composition de ses cadrages, des générations de films à venir. Bien que Le Cabinet du docteur Caligari soit aujourd'hui encore facilement digestible et agréable à regarder (notamment de par ses trouvailles narratives finales le rapprochant de Shutter Island), il n’est pas moins intrinsèque à son époque et à l'Allemagne sortante de la première guerre mondiale. De par ce constat, Stephen Sayadian a voulu faire de sa suite spirituelle un film se référant lui aussi à son époque, plus esthétiquement que narrativement . 

La genèse du film est extrêmement troublée. En effet, lorsque Stephen Sayadian se voit offrir l'opportunité de faire son premier film non pornographique, Le Cabinet du docteur Caligari vient de tomber dans le domaine public et les producteurs ont fait pression sur lui pour que ce soit une adaptation de celui-ci, malgré les réticences du réalisateur. Il céda finalement, mais ne voulut pas reprendre le classique à la lettre, sentant que la comparaison ne lui servirait que plus et refusa aussi de nommer le film le cabinet du docteur Caligari. Il opte pour le plus sobre Dr Caligari et surtout en fait plus une suite qu’un remake. Ainsi, on y retrouve la petite-fille du docteur, continuant les expériences de son ancêtre mais cette fois aux US, subventionné par la CIA.

Originellement sous le titre d'exploitation Dr. Caligari 3000, le film est montré dans peu de cinéma aux US au cours de l'année 1989. Il ne marche pas très bien et sombre dans l'obscurité. Lors de sa réédition en VHS et en Betamax, le titre est changé pour Dr caligari et devient alors un classique underground, souvent montré au cours de projections “midnight movies”, ce qui est paradoxalement le contexte où je l'ai découvert.

Peut-être l'étrangeté du résultat final s’explique par le fait que le co-scénariste, Jerry Stahl, qui avait déjà assisté Stephen Sayadian pour son premier film Café Flesh et travaillé pour lui aussi sur Hustler, était au milieu d'une forte addiction aux opiacés, période dont il parlera dans son livre Forever midnight.

Une esthétique particulière

Le film emprunte donc beaucoup à l'esthétique des photos de Stephen Sayadian pour Husler car son studio photo et celui de Caligari sont les mêmes. Ainsi, il met toujours une grande part d'érotisme dans le film. Bien que dans la première version de Robert Wiene la dimension sexuelle était bien présente, elle est ici encore plus explicite, parodiant presque le côté psychanalytique du film. Caligari est une dominatrice sexuellement débridée, embrassant sa bisexualité dans sa manière de traiter les patients par des méthodes peu conventionnelles et les emmenant dans des univers aussi oniriques qu’érotiques. Elle entamera une relation avec sa patiente principale, ce qui peut rappeler les connotations queer de Cesare dans l’original.

L’intrigue se centre donc sur la docteure échangeant les fluides cérébraux de ses patients pour essayer de soigner leurs différentes pathologies. Elle y soignera notamment Mr. Pratt, un tueur en série cannibale, et Mrs. Van Houten, une femme au foyer nymphomane. Le mari de cette dernière ainsi que plusieurs employés de l'asile vont commencer à s'inquiéter des méthodes employées par la docteure et tenteront de la stopper. Ce scénario n’est pas vraiment le point de vente principal du projet : il n’est que très peu présent, c’est une excuse pour présenter des scénettes et situations esthétiquement folles et sexy. De plus, avec une durée de 1 heure 28 minutes, développer une intrigue plus complexe aurait pu s'avérer difficile.

Le film se démarque par sa démarche artistique, marquée singulièrement par les techniques préférées de Stephen Sayadian : fond colorés, sets épurés et une grande importance accordée à la profondeur des champs, permettant de percevoir des éléments forts dans ceux-ci qui se détachent eux aussi grâce à leurs couleurs. L'éclairage au turgen et néons colorés découpe parfaitement les personnages qui semblent se déplacer dans un monde de rêve et de folie. Cela peut vous attirer si vous aimez les films comme Charlie et la chocolaterie de Tim Burton. Cette importante artificialité, axée sur des formes fortes est non sans rappeler le film de 1920, jouant sur les mêmes procédés mais en noir et blanc.

Pour moi, ce qui fera votre appréciation de ce film sera surement le jeu d'acteur. Il est certes difficile à appréhender car très, très, artificiel et plus au service de la composition d'image que de l'immersion. Ainsi, les personnages pratiquent le vogging pour se déplacer (danse popularisée dans les années 80 par les ball room queer et afro-américaines, consistant à imiter les couvertures de Vogue en répliquant les poses des mannequins). Ici fidèle au background d’artiste photographe du réalisateur, tous les personnages semblent bouger à un rythme défini, en prenant le temps d'appuyer toutes leurs poses afin de nous laisser apprécier la nouvelle composition qu'elles génèrent. Ainsi, on pourrait rapprocher ce type de jeu avec celui de films plus expérimentaux, tels que Possibly in Michigan ou les essais de Tom Rubnitz.



En conclusion


Personnellement, ce film est une expérience surréelle qui me travaille depuis son visionnage. Je me retrouve de manière régulière à vouloir revoir ses visuels en écoutant encore une fois. L’érotisme parfois déplacé ajoute à cette expérience étrange. Les fantasmes exposés semblent irréels et ne sont presque jamais très explicites, laissant à l'imagination une forte place. Le film appelle ainsi au rêve, aux divagations du subconscient, du refoulé, créant une atmosphère particulière et envoûtante. Et j'ai voulu y rester encore quelques heures de plus.



Depuis quelque temps, une copie restaurée est disponible sur Youtube, si vous voulez explorer ce film méconnu et voir s'il fera partie de vos classiques sous-estimés.

Len COFFY 3 octobre, 2023
Len COFFY 3 octobre, 2023
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Expressionisme allemand et monstruosité