Du court au long
Petites histoires de passage du petit au grand écran

La plupart des cinéastes que nous voyons aujourd’hui sur grands écrans sont passés par le court métrage. Qu’ils aient commencé étudiants ou même enfants, professionnellement ou non. Souvent, les potentialités narratives et esthétiques introduites dans ces films courts sont les prémices de ce qui compose leur vision, leur style. Les créateurs ont donc un attachement parfois très fort pour ces premiers films. Ainsi, certains décident de les adapter en long métrages. Mais comment tenir plus longtemps ? Comment opérer le transfert de format ? Nous allons voir ici deux exemples de cinéastes qui ont réussi l’aventure du transfert de leur étincelle du court au long.

WES AVANT ANDERSON

Bottle Rocket (1996) est le premier long métrage du célèbre Wes Anderson qui secoue récemment les salles françaises avec The French Dispatch (2021). L’histoire tourne autour d’une bande d’amis (incarnée par les frères Owen et Luke Wilson ainsi que Robert Musgrave) voulant commettre des casses malgré leur manque de préparation et de coordination. Son premier film fut un échec commercial, rapportant moins de 1 million pour un budget de 7. Cependant derrière les durs débuts de ce film culte se cache un court métrage. Celui-ci date de 1992, alors que Wes Anderson et Owen Wilson (co-scénariste du film) vivent dans une maigre collocation en sortie de leurs études. Ils se décident à réaliser un court métrage inspiré d’une de leurs aventures : pour contrer leur propriétaire qui refusait de réparer leurs fenêtres, ils ont décidé d’auto-cambrioler leur appartement pour démontrer le risque de ces fenêtres ouvertes (le plan ne fut pas très crédible, les fenêtres ne furent pas réparées). 

Le court métrage autoproduit dure 13min37 et est bien loin de l’esthétique finement composée que l’on connaît à Wes Anderson. Les plans sont filmés à l’épaule, le film est en noir et blanc, on pense plutôt voir un hommage à François Truffaut et la nouvelle vague française. Mais son style se dessine, on sent les prémices de ce qui fait l’identité de ses films. On retrouve par exemple les dialogues qui ont un aspect naïf, parfois sans queue ni tête ou un trop plein de formalités qui parasitent le langage. On trouve également un travail du montage pointu, l’enchaînement rapide d’actions à différentes échelles de plans très rythmés. C’est surtout les thématiques abordées dans ce court-métrage qui vont le suivre dans tous ces films. Les trois personnages « cambrioleurs » de Bottle Rocket forment une fratrie amicale, c’est un groupe de jeunes qui pensent que leur vie doit être basée sur le risque et le danger alors qu’il leur suffirait d’être eux-mêmes pour qu’elle soit authentique. Les années 90 ont vu émerger de nombreux cinéastes, on cherchait des créateurs originaux et neufs. Ainsi, le film est sélectionné au festival Sundance de 1993 où il se fait remarquer et on confie à Wes Anderson et Owen Wilson la tâche de l’adapter en long métrage. Ils doivent alors reprendre leur histoire, réécrire, agencer… Comment passer de 13min37 à 1h30 ? 

Il faut alors se concentrer sur l’essence même du film : l’amitié et cette aventure humaine. C’est le cœur du film, avoir des millions et toute une équipe professionnelle ne change rien. Wes approfondit alors ses thématiques, il voit plus grand. Les personnages passent à travers bien plus d’aventures. Au final ils grandissent avec le réalisateur, passant du petit au grand écran. Le film long ajoute un thème qui deviendra important dans tout le cinéma de Wes Anderson : l’amour. Le personnage de Luke Wilson tombe amoureux d’une femme de ménage (interprétée par Lumi Cavazos) lors d’une planque dans un hôtel. L’amour chez Wes Anderson c’est toujours une odyssée de sentiments et de fantaisie. Tout peut sembler faux dans les décors et les actions fantaisistes des personnages, sauf les sentiments. Ils sont toujours les plus purs et les plus forts. Ici les deux personnages ne parlent pas la même langue, leur amour passe par un collègue de l’hôtel capable d’assurer la traduction. On sourit alors devant la barrière du langage et toute la timidité des personnages qui hésitent à s’approcher, tandis que l’on trouve toujours le moyen de faire comprendre ses sentiments. On notera également que le réalisateur conservera globalement ses idées de plan lors du transfert, approfondissant juste leur efficacité en travaillant la composition. 

Même si Bottle Rocket n’a pas trouvé son succès au box-office, il représente l’ascension de Wes Anderson à Hollywood. Bien qu’imparfait il reflète sa vision et ce qui compte pour lui. Ce ne sera pas son seul film inspiré de ressentis personnels, Rushmore (1998) s’inspire de son école, The Royal Tenenbaums (2001) du divorce de ses parents, The Darjeeling Limited (2007) reprend le thème de la fratrie… Et surtout, Bottle Rocket n’est que le premier de la longue collaboration entre Wes Anderson et Owen Wilson, qui continue encore après tout ce temps. 

Waititi avant la conquête d’hollywood

What we do in the shadows connaît un succès mondial depuis la sortie du film en 2014. Une série en est même née en 2019. Le concept ? Un faux documentaire sur une collocation de vampires qui s’ennuient et qui ne s’intègrent pas entièrement au 21ème siècle. Cette idée originale est née de l’esprit de deux néo-zélandais : Taika Waititi et Jemaine Clement. Le nom de Waititi s’est largement popularisé quand il a intégré les écuries Marvel avec Thor Ragnarok et remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté pour Jojo Rabbit en 2019.

Le film a connu un large succès mondial avec une première au festival Sundance (décidément !) et rapportant 6,9 millions pour un budget de 1,6. Mais ce qui reste méconnu, c’est qu’au départ tout commence en 2005 avec un court métrage réalisé par la même équipe…Le film a connu un large succès mondial avec une première au festival Sundance (décidément !) et rapportant 6,9 millions pour un budget de 1,6. Mais ce qui reste méconnu, c’est qu’au départ tout commence en 2005 avec un court métrage réalisé par la même équipe…

What we do in the shadows: interviews with some vampires est un court métrage de presque 30 minutes qui était déjà basé sur ce concept de faux documentaire. La tag-line « Eternity sucks » affiché sur le poster pose la base autour de ces personnages qui sont bien loin de l’image noble de Dracula. Les deux réalisateurs se mettent en scène en incarnant Viago (Taika Waititi) et Vulvus (Jemaine Clement, renommé Vladislav dans le long métrage). Dents en plastique, costumes cheaps, interviews absurdes et perches dans le champ ; ce court métrage assume à fond sa dimension parodique. Et c’est le point le plus important que l’on peut noter dans ces films qui sont ensuite adaptés en long : un concept fort et original est assumé. Ces projets peuvent se permettre de ne pas être parfait tant qu’ils portent l’essence de leurs auteurs. Ainsi dans Interviews with some vampire on suit une trame globalement proche du film de 2014 : des vampires en colocation qui répondent à des questions de l’équipe de tournage puis qui vont se confronter au monde extérieur tandis que l’un d’eux, fraichement transformé, fait des siennes et menace leur existence secrète. Tous les acteurs des personnages principaux seront repris pour l’adaptation en long. Le succès ne fut pas spécialement au rendez-vous lors des diffusions du court-métrage. Son esthétique manquant de moyen entache légèrement le concept intéressant. Heureusement que l’idée a plu et que l’envie d’adaptation en plus grosse production s’est montrée. 

Le projet d’adapter ce court en long a commencé 4 ans après sa sortie. Cependant, il faudra 4 ans de plus pour que la machine s’enclenche vraiment. Entre temps Taika Waititi et Jemaine Clement ont collaboré sur leur premier long métrage Eagle vs Shark (2007). Waititi réalise également Boy, présenté à Sundance et connaissant un fort succès auprès des critiques et du public. On commence à remarquer le style de Taika Waititi, singulier par son humour entrelacé avec des sujets de fonds parfois durs. Il use de l’humour pour mettre en lumière des situations absurdes ou intolérables. Son cinéma met en avant l’expérience des enfants avec sa « trilogie des enfants perdus » Boy (2010), Hunt for the Wilderpeople (2016) et Jojo Rabbit (2019) : des enfants perdus dans des problèmes d’adultes. 

Réaliser l’adaptation de son histoire de vampire a été un des derniers points avant son passage vers Hollywood. Cela semble important pour lui d’ancrer son cinéma en Nouvelle-Zélande avant de traverser l’océan. Il réunit donc de nouveau Jemaine Clement et son équipe pour refaire ce faux-documentaire mais, avec toute l’expérience qu’il a acquise avec les années, cela devient un chef d’œuvre d’humour et un film culte. Contrairement à Wes Anderson et Bottle Rocket, il y a eu une longue période entre le court et le long. Cela a permis de prendre du recul quant au projet pour le porter au mieux sur le grand écran. Pour que le succès soit au rendez-vous il manquait surtout de moyens. Faire des vampires avec peu d’argent manquait de crédibilité. Ce qui différencie également Waititi de Anderson c’est le regard mature qu’il pose sur son travail de jeunesse. Le passage du court au long est un moyen de corriger les imperfections du premier et surtout clarifier avec lui-même ce passage à la maturité et à d’autres horizons. C’est une expansion tandis que Bottle Rocket est l’ascension de Wes Anderson. Maintenant, la franchise What we do in the shadows connait un succès mondial. Taika Waititi ne dirige plus la série, trop demandé à Hollywood, mais la laisse entre les mains de son camarade Jemaine Clement tout en faisant des caméos et quelques directions d’épisodes. Tilda Swinton, Mark Hamill, Wesley Snipes… Tous font la queue pour participer à ce projet vampirique. Au final le duo Clement/Waititi aura fait du petit écran, puis du grand, pour un retour acclamé au petit.

Au final, la plupart des cinéastes commencent leurs aventures de tournage avec une bande d’amis, sans argent. C’est pour cela que regarder des courts-métrages c’est un grand soutien pour l’émergence de nouveaux artistes. Il leur faut de la visibilité, un public, et des producteurs qui leur laissent une chance. Ce sont également des projets souvent très personnels, qui mettent en avant les thèmes qui leurs sont chers et qu’ils veulent mettre en lumière. Ainsi on peut se demander combien de réalisateur.ices referaient leurs premiers courts métrages et ce qui changerait.

Emma Guardiola 31 janvier, 2022
Emma Guardiola 31 janvier, 2022
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