Dune : une épopée littéraire et cinématographique

Le projet d’adapter le roman planet-opéra Dune de Frank Herbert n’est clairement pas une sinécure, et elle s’est vite relevée être, au fil des tentatives, une œuvre certes dense et au potentiel énorme, mais à l’aspect justement bien complexe à porter à l’écran. Déroulant sur de multiples points de vue et temporalités l’évolution d’une immense lutte de pouvoirs entre diverses castes dirigeantes pour le contrôle de l’Épice sur la planète Arrakis, le roman sorti en 1963 offrait un récit palpitant couplé à un message écologiste marquant. Encore aujourd’hui, ce roman est considéré par beaucoup comme l’un des plus grands classiques du genre SF, aux côtés de la Fondation (1951) de Isaac Asimov ou de l’Hypérion (1989) de Dan Simmons. 
Pour autant, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que les studios Hollywoodiens décèlent un immense potentiel dans cette œuvre, et l’un des premiers chantiers marquants est celui du réalisateur avant-gardiste : Alejandro Jodorowsky. 

Réalisateur franco-chilien à l'esthétique empreinte d'un symbolisme puissant, metteur en scène, marionnettiste, scénariste de bandes dessinées… Les multiples facettes du travail phénoménal de cet homme sont à l’époque l’une des raisons qui le pousse, dans son envie de pousser le cinéma dans une nouvelle ère, à mettre en chantier une adaptation du roman Dune dès 1973. Sans entrer dans les détails de ces cinq ans de travail intense, il reste important de parler de la vision démentielle qu’avait en tête Jodorowsky en voulant mettre une identité visuelle intemporelle dans Arrakis, en s’accompagnant d’une quantité importante de grands artistes dans son épopée : le groupe de rock psychédélique Pink Floyd et le groupe de rock français Magma à la musique, le peintre surréaliste Salvador Dali en tant qu’acteur, ou bien encore le réalisateur Orson Welles en tant que grand méchant du film. Mais face à l’ambition démesurée du réalisateur de porter un film d’une durée de douze heures, s’éloignant même de l’histoire du roman, les studios refuseront d’avancer cinq millions de dollars pour compléter le financement. Ne reste alors que des tonnes d’artwork du projet, dessinés par des maîtres comme H. R Giger (Concepteur visuel de l’Alien de Ridley Scott) et du dessinateur belge Moebius (Dessinateur de la BD L’Incal). J’invite cependant nos chers lecteurs à regarder le documentaire sur le projet avorté de ce film, nommé Jodorowsky’s Dune. 

Alors qu’en 1975-76, le projet de Jodorowsky est abandonné, le producteur italien Dino De Laurentiis récupère les droits d’adaptation du livre, et se tourne alors en 1979 vers un réalisateur en pleine effervescence d’un succès mondial la même année : Ridley Scott et son film d’horreur SF, Alien. Si cette fois ci, l’auteur Frank Herbert a la main mise sur le scénario, des dissensions brisent rapidement toutes possibilités d’une collaboration saine entre Herbert et Scott, achevée par le décès du frère aîné de ce dernier. 

Les regards se tournent alors vers un réalisateur américain en vogue dans le cercle des Midnight Movies : David Lynch, réalisateur de Mulholland Drive (2001) mais surtout à cette époque de Eraserhead (1977). Le style avant- gardiste et hors du temps de celui qui sera amené à offrir au cinéma des créations devenues références, accepte alors de reprendre le projet, et si sa gestation semble se faire sans encombres majeurs (il y aura quand même de nombreux désaccords et problèmes techniques durant le tournage) amènera à une sortie du film en 1984. Le retour critique comme commercial du film est un véritable désastre, amenant très rapidement le réalisateur à désavouer complètement le film au point de prendre un nom d’emprunt dans les sorties physiques du film. 

Le projet étant un échec, on pourrait alors penser que le roman Dune deviendrait un de ses projets endormis dans les tiroirs de Hollywood, mais en 2016, la société de production Legendary Pictures récupère les droits du roman et très rapidement, c’est le réalisateur canadien Denis Villeneuve qui obtient la tâche de réaliser une adaptation. En 2017, le réalisateur annonce de suite vouloir prendre son temps pour élaborer un projet d’une ampleur aussi importante. Il fait appel au fils de Frank Herbert, Brian Herbert, et à un important auteur de SF américain des années 90-2000 : Kevin J.Anderson, mastodonte ayant collaboré avec Brian Herbert sur un roman préquel à Dune. 

Mais alors, le défi est-il réussi haut la main ? Peut-on adapter « correctement » l’inadaptable, à une époque où Fondation, la saga phare de romans de Asimov, est entre les mains de Apple +, que l’univers de l’auteur de Roald Dahl est entre celles de Netflix, et que Tolkien voit son univers développé par Amazon ?

Vous vous en doutez, la réponse est bien plus complexe qu’il n’y paraît, mais force est de reconnaître une chose au Dune du réalisateur canadien Denis Villeneuve, c’est qu’il est d’une beauté plastique impeccable et d’un aspect contemplatif hors du temps, à des lieues de ce que l’on pourrait attendre d’un blockbuster. 

Car il est important de savoir que pour Villeneuve, devenu rapidement une sorte de Roi Midas du cinéma, ses deux précédents films que sont Premier Contact (2016) et Blade Runner 2049 (2017) n’auront été que des « essais », des tests, afin de se sentir capable d’adapter en une future trilogie le récit de Paul Atréides et de parfaire sa technique de faiseur. 

Le défi est de taille, reste désormais à savoir si le public y sera réceptif, car l’adaptation de Villeneuve, si elle sait se plier par instants aux arcanes du blockbuster, a pleinement conscience de ce qu’elle est et l’affirme pleinement : une œuvre d’auteur. Il faut alors consciemment accepter de ne pas être gavé de combats titanesques aux impacts démentiels, pour lui préférer ici des combats d’art martiaux aux sons étouffés et des explosions aux teintes monochromes, montants telles des tumeurs dans un ciel poussiéreux.

Car la couleur fait encore la part belle ici, et si l’impact est de suite moins marqué que dans Blade Runner 2049 (2017), le rendu reste travaillé avec un soin maladif, et la composition en tableau saura laisser le spectateur coi devant des scènes d’une beauté époustouflante. Il y aurait alors mille et une chose à dire sur ce qui fait de Dune une œuvre clé dans l’histoire du cinéma, à mon sens, tant elle sait démontrer que le concept de blockbuster et de film d’auteur ne sont pas forcément deux éléments incompatibles.

Cette harmonie entre œuvre d’art et film de divertissement trouve son origine dans plusieurs points, que sont la liberté de création qu’aura eu Villeneuve tout le long du process, ainsi que le talent du réalisateur pour trouver un juste équilibre entre patte artistique marquée, refus des conventions classiques, et envie de divertir un public et satisfaire le box-office. Bien sûr, je calmerai de suite mes ardeurs en ne transformant pas non plus Villeneuve en un véritable artisan de la contre-culture, de l’anti-blockbuster, mais bien en une sorte de diplomate entre les deux extrêmes ayant réussi à trouver un terrain d’entente.

Ainsi, Dune devient un film souvent contemplatif, parfois lent et apaisé, quoique rythmé par la musique épique de Zimmer en permanence, mais sachant trouver un juste milieu dans son rapport d’action-contemplation. Son panel de personnages dévoile un véritable champ de bataille aux portées multiples. 

D’abord politique, avec une lutte entre les castes des Atréides et des Arkonnen pour le contrôle de la fameuse Épice, fruit de toutes les convoitises et mettant entre deux étaux les Fremen, peuple originaire de Arrakis. Ensuite religieux, avec la ferme mainmise des Bene Gesserit qui assis leur domination via des prophéties guidant les peuples vers la direction qu’elles désirent. 

Et enfin écologique, tant cette planète aride dont le destin aurait pu être différent sans l’existence de cette drogue populaire et lucrative qu’est l’épice, et qui démontre bien quelles conséquences peuvent avoir l’avidité de l’homme sur tout un écosystème.

Arrakis devient donc un pâle et poussiéreux reflet d’un monde que nous connaissons bien, et offre une sublime mise en bouche d’un univers aux ramifications multiples. Villeneuve démontre avec talent que Dune est adaptable et possède en elle des messages intemporels et une vision multiple d’un avenir peu radieu.

Morgan CHARLES 31 janvier, 2022
Morgan CHARLES 31 janvier, 2022
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