Ema est un film chilien d’1h47, réalisé par Pablo Larraín, sorti en 2019. Le film est en compétition officielle à la Mostra de Venise 2019.
Ema, sorti en France le 20 septembre 2020, est un film alternant entre la colère sourde et l’abattement. On s’y débat comme on s’y fâche, on y aime comme on y pleure.
L’héroïne donnant son nom au film est une jeune danseuse au mulet blond, mariée à Gastón, un chorégraphe plus âgé et plus reconnu qu’elle. Ce jeune couple très explosif décide, contre l’avis de tous, d’adopter un enfant, Polo, puis de le rendre au centre d’adoption lorsque cet enfant provoque un grave incendie.
Séparée de son fils, Ema cherche à se venger. Un accident n’ayant pas de coupable précis, la jeune femme se retrouve seule face à une rage et à une désolation qui ne désemplissent pas. Elle accuse son mari, qui l’accuse en retour dans une scène très froide, où le couple alterne entre les mots tendres et les insultes dites à voix basse et entrecoupée de pleurs. Dans une lumière bleutée, les gros plans montrent des visages torturés passant en un fragment de seconde de la douceur à la cruauté. Mais cela n’est pas suffisant, il faut trouver d’autres coupables. Ema décide alors de diriger sa haine vers la nouvelle famille d’adoption de Polo, qu’elle va chercher à détruire de l’intérieur comme sa propre famille a été détruite.
La colère d’une efface les autres
La colère d’Ema se dirige contre toute forme d’ordre ; l’administration qui a méprisé sa demande d’adoption, son mari qui dénigre ses goûts artistiques, ses employeurs qui la traitent de gamine capricieuse lorsqu’elle remet son fils à l’orphelinat. Elle revendique sa liberté de façon désespérée, quitte à ce que ses actes perdent leur sens.
La jeune femme est marginalisée par son métier, ses lubies vestimentaires jugées adolescentes et l’écart d’âge dans son couple. Le commun des mortels la prend de haut, la considère comme irresponsable et inadaptée au rôle de femme autant qu’au rôle de mère. Ce mépris est cependant intrinsèquement lié à une fascination pulsionnelle de tous pour la jeune femme. Ema est une sorcière au regard envoûtant ; elle charme tout.es celleux qu’elle rencontre et fait ce qu’elle désire des corps et des vies de ses victimes. Ema fait l’amour, mais ne se laisse pas faire.
Tout au long du film, la danseuse empiète sur les autres, et cela en grande partie grâce à la performance captivante de son interprète, Mariana Di Girólamo, qui est l’actrice principale de quasiment chaque scène, que ce soit à l’aide de gros plans sur son visage ou de son emplacement central pendant les chorégraphies. Même lorsqu’elle fait partie d’un tout, d’une troupe de danseurs ou de son groupe d’amies, Ema se détache du lot et attire la focale de la caméra par ses habits, sa façon de se tenir et son sourire moqueur en coin de bouche. L’effet est réussi ; le visage provoquant d’Ema reste en tête.
La danse populaire "sale" face au contemporain chic
La danse et la musique ont une place primordiale dans le film. On y oppose un style contemporain respectable et déjà classique représenté par les oeuvres de Gastón, aux scènes de chorégraphies sauvages d’Ema et de sa suite. Gastón méprise le reggaeton et les mouvements saccadés. Pour lui la danse doit être un art épuré alors qu’Ema salit son corps à force de se démener sur des bassesse de qualités médiocres et des rythmes assourdissants. Au contraire pour la jeune femme, ces mouvements aux allures tribales sont l’expression honnête des passions humaines. Ema ne montre quasiment pas ses peines et ses joies, car elle garde un regard fixe et un visage neutre même lorsque celui-ci est couvert de larmes. Dans cette optique, la danse lui permet d’enfin afficher son être au monde, elle s’exprime, dans le sens où elle expulse les émotions de son corps ; sa danse sale crache au visage de Gastón.
La danseuse est toujours accompagnée de ses sœurs de transe, un groupe de filles aux physiques particuliers qui l’accompagnent dans ses mouvements à n’importe quel endroit et à n’importe quelle heure. Elles dansent dans la rue, dans un appartement, sur un terrain de basket ou encore dans une télécabine. Toujours connectées, elles amplifient les gestes d’Ema et donnent plus de poids à ses émotions. Leur union semble reprendre le sabbat des sorcières, où les magiciennes tournent autour d’un feu avec un emballement frénétique pour invoquer le démon.
L’image du feu se retrouve d’ailleurs développée tout au long du film, que ce soit dans le soleil incandescent comme fond d’une performance de danse, ou dans le mobilier urbain brûlé par un lance-flamme qu’Ema utilise à plusieurs reprises. Tout commence par l’incendie provoqué par Polo et par son abandon ; dès lors, Ema est rongée, brûlée par l’absence de son enfant.
Conclusion
Ema est un très beau film visuellement parlant. Les couleurs sont métallisées, brillantes et agressives comme les éclats de la danseuse. Les personnages sont touchants, particulièrement le couple brisé par l’absence de son enfant et l’impossibilité de poursuivre une vie à deux innocemment. Cependant, si l’on peut accepter le fait qu’étant instable, Ema agit de façon illogique et naïve, il apparaît tout de même que son plan pour récupérer son enfant soit assez capillotracté. Quant à l’image symbolique d’Ema et son lance-flamme brûlant des objets, elle semble plus utile à l’esthétique du film qu’à l’histoire en elle-même. Il faut enfin reconnaître la superbe performance de Nicolas Jaar, qui a réalisé la musique du film ; des airs très violents et touchants à la fois qui contribuent à créer de très belles scènes.