Entretien avec Arma LUX

Arma Lux, né le 08/01/2002 est un réalisateur et scénariste français. Cinéphage depuis son plus jeune âge, il propose des œuvres expérimentales dans lesquelles le son et l’image ne font qu’Un afin d’offrir une expérience sensorielle unique. Son cinéma ne cesse d’interroger la question de la solitude, du deuil et de la séparation de la façon la plus empirique possible. Par un usage obsessionnel du gros plan, il immerge totalement le spectateur dans la douleur intérieure de ses personnages, n’hésitant pas à nous faire suffoquer avec eux. Sa dernière réalisation est un moyen-métrage de 40 minutes et s’intitule Blues, affaire à suivre…

Q1 : Quelle est ta formation du cinéma ? Comment en es-tu venu à te lancer dans la réalisation ?

Je n’ai pas fait de formation, tout est en autodidacte. J’ai commencé très jeune, vers l’âge de 6-7 ans à réaliser des films d’animations avec des Playmobil et des films en stop-motion via le camescope de mes parents. Puis en CM2, avec un groupe d’amis dont fait partie Valentin Guay, le compositeur de tous mes films depuis 11 ans maintenant, nous avons réalisé un court-métrage de vingt minutes qu’on a projeté devant notre école primaire, Alcide Snow… C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais devenir réalisateur. Depuis, j’ai réalisé 58 films !

Q2 : Qu’est-ce que le collectif Okkto ? Qui le compose et comment est-il né ?

Avant le collectif se nommait Nalu Film. Le projet vient justement de CM2. A ce moment-là, Valentin et moi avons rencontré des gens passionnés et passionnants. Ça nous a donné l’impulsion, en 2012, de lancer ce collectif afin de réunir des personnes qui, comme nous, n’ont pas de réseau, afin d’en constituer un justement. Nous voulions proposer un système alternatif où nous serions tous unis par ce même amour de la création cinématographique. Aujourd’hui, le collectif compte une trentaine de personnes dont 5 sont le noyau dur et inchangé, la base présente depuis le tout début.

Q3 : Comment finances-tu tes films ?

Tous mes films sont autoproduits. Pour reprendre l’adage : « Je ne fais pas des films pour faire de l’argent ; je fais de l’argent pour faire des films » (rire). Nous n’avons eu recours que deux fois au Crowdfunding, c’était pour Retrospection : Summer et Gaspard. Il faut dire que tous nos projets jusqu’à Blues étaient bénévoles et que le budget partait pour les décors, maquillages ou matériel de cinéma. C’était une chance immense de pouvoir tourner dans ce contexte, avec des gens présents uniquement par amour du tournage. Il faut dire que ce sont des expériences très plaisantes, mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’instant, nous essayons de collaborer avec des sociétés de production pour monter des projets plus « imposants » et ainsi nous professionnaliser toujours plus.

Q4 : Où est-ce que tes films sont disponibles ? As-tu tenté de les présenter dans des festivals ? Si oui, lesquels ?

Mes films sont disponibles sur Youtube et sur Vimeo. Blues, mon dernier film, sera projeté en novembre à Lyon et dans une vingtaine de salles un petit peu partout en France. Concernant les festivals, Blues commence à être proposé en festivals et Keep on Shining fut présenté dans plusieurs festivals aux Etats-Unis en 2020.

Q5 : Tu réalises aussi bien des courts/moyens métrages que du clip, quel est ton approche vis-à-vis de ces deux formes cinématographiques ? En sachant que chez toi, la fiction est très expérimentale et « mélodique ». Quelle est la plus-value offerte par le clip ?

Tout d’abord il faut savoir que la plupart des clips sont des commandes. Mais cela ne me pose pas problème parce que ce médium garde un lien très fort, naturellement, avec la musique. L’avantage du clip, et à la différence du court-métrage, c’est que je n’ai pas besoin de justifier l’aspect expérimental du projet. Toutes mes œuvres sont des expérimentations, mais quand on réalise un court-métrage, on est obligé de justifier ses choix, d’expliquer au spectateur. Ce n’est pas du tout la même dynamique dans le clip où on se laisse absorber par l’atmosphère. Et justement, je travaille énormément avec l’atmosphère, la sensation, c’est le centre de mon travail. Le clip 00.00.0000 fut tourné en une nuit durant laquelle on a pu expérimenter beaucoup de choses que ce soit au niveau de la mise en scène ou des effets. Et ce sont justement ces éléments que je vais réinjecter dans mes courts-métrages. J’aime l’idée d’avoir une mise en scène spontanée, une expression directe. En somme, faire un clip c’est comme faire une impro’ de jazz.

Concernant la musique plus précisément, il faut savoir que sur le plateau, il y a rarement une prise de son directe. Pourquoi ? Parce que je mets toujours de la musique en fond sonore, afin d’immerger totalement les acteurs ainsi que l’équipe technique dans l’atmosphère globale de l’œuvre. Et justement les acteurs aiment beaucoup cette méthode parce que ça leur permet d’être dans une forme de transe. Ils ont l’impression d’être le personnage. Quand nous tournons, j’aime ne pas dire « action/couper » et laisser tourner, faire de très longs plan-séquence que je découpe ensuite au montage. Cela afin d’offrir aux acteurs une marge de liberté, une marge d’improvisation pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Il faut qu’ils puissent explorer des sensations, et pour ce faire, rien de mieux qu’une musique d’ambiance sur le plateau pour donner le tempo.

Je te donne un exemple. Nous avons tourné Keep on Shining en écoutant la musique Shine On You Crazy Diamond des Pink Floyd. Et c’est là qu’intervient le talent de Valentin. Il n’est pas présent sur le tournage, il ne sait pas que j’ai utilisé cette musique pour rythmer les prises et pourtant, lorsqu’il a dû composer la B.O, et en voyant les premières rushs, il a directement pensé aux Pink Floyd.

Q6 : Les films Nowhere (2018), La Mémoire du silence (2018), Retrospection : Summer (2019) et Keep on Shining (2020) semblent former un « cycle tragique » dans le sens où tous traitent de thématiques assez similaires et reposent sur une même conclusion : les personnages font un geste « désespéré », un « dernier recours » pour tenter de fuir un passé qui les tourmente. Et justement, Keep on Shining semble être l’acmé de ce cycle, celui où tu partages avec le plus de radicalité ta vision de l’existence ?

Ce n’est pas vraiment un geste désespéré, au contraire il est franchement déterminé. Les personnages agissent par choix, ils vont droit au but : c’est le seul recours pour eux, ils n’ont pas d’autres solutions. Ce sont des désaxés qui vivent dans le passé, dans le souvenir. Ils ne sont pas présents et leurs derniers gestes sont pour eux une façon d’échapper au conditionnement de leur époque. C’est pour cette raison que je parle plutôt du cycle de la Solitude, un thème qui m’obsède. Un cycle qui va de La Mémoire du silence à Blues en passant par Keep on Shining et Gaspard. Keep on Shining, c’est vrai, est un film défouloir : on sortait du confinement et nous avons voulu libérer toutes les pulsions qui étaient en nous. Pour autant, je ne dirais pas que c’est l’acmé. Il me semble que c’est plutôt Blues parce que c’est la première fois que je vais vers l’espoir. Par ailleurs, nous avons tourné le film sur 20 jours, notre plus gros temps de tournage pour 6 mois de préparation. C’était très éprouvant, nous avions un plus gros budget, une trame « scénarisée » et surtout tous les courts-métrages précédents s’y retrouvent : la solitude, le souvenir, la fantaisie, la séparation, le tout en réinjectant des idées expérimentales de nos courts-métrages mais de façon plus scénarisée et narrative. C’est une synthèse qui se conclue par cette idée qu’il faut accepter la séparation, le temps qui passe pour refaire corps avec nos passions. Il boucle le cycle entamé par La Mémoire du silence dans lequel la séparation était le thème central. On le retrouve aussi dans Keep On Shining qui raconte la violence de la séparation. Finalement, la conclusion de tout cela est qu’il faut accepter de vivre avec les fantômes, ou plutôt s’en acclimater pour réapprendre à vivre.

J’ai compris avec Gaspard que l’entre-deux entre le rire et le pleur était ce qui me plaisait le plus. J’ai trouvé mes thèmes, ma façon de travailler et c’est pour cela que je me permets une plus grande liberté : je n’ai pas cette pression de prouver de quoi je suis capable.

Q7 : Tu utilises souvent le gros plan en longue focale dans tes films, ce qui permet de ressentir une immense proximité avec les personnages. Peux-tu nous parler de cet usage ?

Parce que les premiers films qui m’ont marqué sont ceux de Sergio Leone. Il y a beaucoup de gros plans et le dialogue se fait essentiellement par le regard. Il était une fois dans l’ouest est un film fondateur pour moi  ! C’est avec ce film que j’ai compris ce qui faisait la spécificité du cinéma. Au théâtre, nous sommes loin des acteurs, alors qu’au cinéma on est avec eux. Je veux capter les micromouvements de leurs visages, parce que ce sont eux qui en disent le plus. Les petits regards racontent tellement plus que n’importe quelle tirade ! Il faut partir du principe que le visage est un paysage d’émotions.

Q8 : Un carton au début de Nowhere indique : « une écoute au casque audio est conseillé ». Il y a une immense importance du son dans l’ensemble de ton œuvre : pourquoi ?

Le gros défaut des films amateurs est le son et le dialogue. Ils sont très souvent négligés. C’est une immense erreur car tout passe par là. Le cinéma c’est l’image ET le son. C’est pour ça que j’utilise peu de dialogues dans mes films : je pars du principe que la musique, les sons mais surtout les plans, la gestuelle des acteurs doivent parler. Une émotion perd tellement de sa puissance lorsqu’elle est balisée par des mots. Pour Blues, nous avons utilisé 3000 pistes audios ce qui nous a pris 2 mois de travail. Le son est tellement important qu’il faut y accorder la même rigueur que pour le cadrage. D’où l’importance de ces détails comme le bruit d’un avion dans le ciel au début de Retrospection  : Summer ou encore le vent omniprésent en fond sonore dans Nowhere. L’enjeu est d’être absorbé par le son. Les images sont intéressantes, mais c’est le son et la musique qui donnent la sensation. Mais attention, quand je parle du « son », je l’envisage au sens large du terme. Par exemple, Blues commence sans musique, sans bruit. Le silence est autant pensé que le bruit. Le silence est un son à part-entière et permet aussi de convoquer une émotion.

Q9 : Peux-tu nous parler du processus de création de Retrospection : Summer ?

Au départ, je voulais faire toutes les saisons. Mais à cause du covid le projet est avorté.

Pour parler plus précisément de Retrospection : Summer, j’ai commencé par poser des questions d’ordres sensorielles à des proches comme : « Que vous évoque l’été ? ». Ensuite j’ai demandé à mes acteurs de composer un personnage, en lui écrivant une biographie. Et c’est à partir du questionnaire sensoriel et des différentes biographies inventées par les acteurs que j’ai écrit un script. Ensuite, nous nous sommes réunis pendant 2 jours dans une cabane perdue dans la campagne afin de nous mettre dans un contexte propice à la création. L’équipe était composée en tout de 20 personnes avec 2 caméras. Quand il fallait tourner, je ne transmettais pas le scénario aux acteurs, j’allais simplement leur donner des indications à chacun. Avec ce système, tous les acteurs découvrent le film en même-temps, d’autant que nous l’avons tourné dans l’ordre chronologique. Cette méthode permet de capter une immense authenticité.

Un exemple : pour la scène de la soirée, nous avons fait un plan-séquence d’une heure. Une heure dans laquelle Noé (Bertry) danse, s’amuse et surtout doit s’évanouir devant tout le monde après avoir pris un cachet. Comme la prise durait de plus en plus longtemps, les autres comédiens ne s’attendaient pas à ce que la séquence se termine ainsi. Du coup, quand l’acteur s’est écroulé, ils étaient véritablement surpris et inquiets. Et c’est très plaisant de capter cette authenticité.

Pour la post-production, j’ai demandé à une amie de l’ENS et à Valentin d’écrire un texte de voix off et de composer une musique sur ce qu’évoquait pour eux l’été. Finalement, j’aime dire que Retrospection  : Summer est un projet «  monstrueux  » (rire). C’est un patchwork qui mélange tout, une forme de créature de Frankenstein. Et c’est justement cela qui donne son aspect atypique. J’ai appris beaucoup de choses en tournant ce film.

Q10 : Avec Gaspard (2021) et 00.00.0000 (2021), un changement sensitif s’opère. On boucle le « cycle tragique » et on passe à une approche beaucoup plus exaltée, à l’instar de la BO de Valentin Guay. Accepter 
le tragique de l’existence et le vivre avec fantaisie, voilà ce que tu sembles nous proposer avec tes deux derniers films. Et cette fantaisie s’exprime, stylistiquement, par les multiples références cinématographiques qui jalonnent les deux œuvres. Peux-tu justement nous parler de ces références ? 

Après les confinements, nous avions besoin de nous défouler, d’être dans une certaine exaltation. Et c’était justement l’occasion pour moi d’exprimer dans une œuvre toutes mes références, d’entrer dans une forme de jeu. Il faut savoir que je travaille beaucoup avec des références. Par exemple, en amont du tournage, je fais toujours des recommandations à mes acteurs. Pour Keep on Shining, je leur ai dit de regarder Under the skin, de lire Alan Moore et d’écouter Julie London dont le titre du film provient des paroles de sa chanson The End of the World.
Il en est de même quand j’écris un scénario. Je travaille avec des dossiers remplis de références à des films, des musiques, des bande-dessinées, des romans, de la peinture… En général, je fais une page de scénario et une page de référence en accompagnement dans laquelle je colle mes inspirations. Par contre, quand j’arrive sur le tournage, j’essaye de tout oublier, ou plutôt de ne pas rendre cela trop visible. J’essaye au maximum d’intérioriser mais il n’empêche que certaines références s’expriment malgré tout  : 00.00.0000 est un hommage revendiqué à Dreyer. Nan Goldin m’a beaucoup inspiré, notamment Nan and Brian in Bed, New York City, 1983. Je l’utilise dans tous mes films. De même, j’adore Herman Léonard ou encore Taniguchi et son Quartier Lointain. Mes références sont diverses et variées…

Q11 : Quels sont tes futurs projets ?

Pour l’instant je travaille sur la diffusion de Blues. Comme je l’ai dit, le film sera projeté à Lyon en décembre. C’est un film auquel je tiens énormément parce que j’ai tout investit dedans. Plus de 50 personnes ont participé au projet, nous avons tourné dans une usine abandonnée, fait appel à des policiers et des pompiers pour une séquence... On espère présenter le film dans des festivals de catégorie 1, et nous démarchons avec des distributeurs. Nous avons envoyé le film à des metteurs en scènes importants qui nous ont fait des retours très positifs. Bref, c’est l’acmé et nous espérons que le film sera vu par le plus grand nombre.

Sinon, en ce moment j’écris un scénario de long-métrage « Nos jours oubliés ». Il fait 90 pages. Je l’ai écrit pendant le premier confinement et je retravaille constamment dessus, en espérant qu’il puisse aboutir bientôt…

Lucas PEYRE 31 janvier, 2022
Lucas PEYRE 31 janvier, 2022
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