festival Lumière 2018 : Purplewashing à l’horizon

Vous connaissez le greenwashing ou le pinkwashing ? Ces procédés utilisés par des états ou des entreprises privées s’appropriant les enjeux écologiques et LGBTQIA+ afin d’être blanchi.e.s de certaines accusations, sans pour autant qu’iels respectent la moindre revendication de ces luttes ? Avec le Festival Lumière on observe un beau spécimen atteint de purplewashing, un procédé identique qui revendique cette fois-ci des valeurs féministes.

Le choix de Jane Fonda en tant que gagnante du prix Lumière 2018 me laisse un goût amer, un rapide historique des précédentes personnes récompensées l’explique : sur 10 prix lumières, 8 hommes, seulement 2 femmes, 7 réalisateurs, un acteur et enfin deux actrices.

Partant du principe que la personne recevant le Prix Lumière est à priori sélectionnée sur des critères de popularité et de reconnaissance de son oeuvre par le public et la critique (dans une certaine mesure pour cette dernière), pourquoi Jane Fonda ? Pourquoi seulement deux femmes, et pourquoi si tardivement ? Le réveil égalitariste du cinéma mondial, notamment grâce à #metoo, a semble t-il gagné les esprits de l’organisation du festival Lumière, toutefois ces bonnes intentions sont trop légères pour être crédibles, d’autant plus que Catherine Deneuve a bien démontré quelques mois après le festival Lumière 2016 qu’elle n’était pas la plus fervente gardienne des droits des femmes et du féminisme, oups.

Ceci à part, on connaît de nombreuses réalisatrices dont la filmographie et la reconnaissance sont assez importantes pour prétendre aux prix Lumière, ne serait-ce qu’Agnès Varda, Naomi Kawase ou encore Jane Campion, pour ne citer qu’elles.

Une once d’hypocrisie émaille ce choix pourtant brandi comme un étendard de bonne conscience dans la préface du catalogue de l’Institut Lumière par David Kimefield, président de la métropole de Lyon, qui décrit Jane Fonda en « légende hollywoodienne », « actrice de la contre-culture américaine et féministe engagée », mais aussi par Georges Képénékian, maire de Lyon avant de céder sa place à ce bon vieux Gégé, qui parle d’abord d’une « actrice internationale très française qui a joué, entre autres, pour René Clément et Roger Vadim », c’est à dire d’hommes avant même de nommer Jane Fonda.

Un mirage

De manière générale, on constate que tout l’appareil de communication qui entoure le festival se pare de quelques allusions à l’expérience militante de Jane Fonda qui restent des mirages. À la recherche de cette « figure féministe », il faudra débourser 15€ pour obtenir le catalogue dans lequel une page est consacrée à la biographie de l’actrice, dont un paragraphe à son engagement. Pour moins cher, et mieux renseigné, je vous conseille la brochure hors-série du magazine Carbone pour 2€ à la boutique du festival. Encore que vous n’y trouverez pas grand chose de concret et surtout beaucoup de fuites vers d’autres figures féministes contemporaines.

Le programme distribué gratuitement est également bien peu bavard à propos de cette femme que tous désignent comme idole et sauveuse : dans le court paragraphe qui lui est accordé, une partie est dédiée à son père qui fait pourtant l’objet du paragraphe suivant. Cette relégation incessante des femmes présentées par le programme à des hommes touche inévitablement toutes les actrices du programme, indice d’un phénomène généralisé et toujours actuel.

La communication est aussi extrêmement problématique au sujet des images choisies : au nombre de deux, l’une présente Jane Fonda, entre 20 et 30 ans, les mains croisées sous le menton et orne tous les t-shirts officiels, l’autre la montre à un âge plus avancé, mais le maquillage et les retouches ne laissent percevoir presque aucune rides dans un résultat assez artificiel et qui n’entretient aucun rapport avec d’éventuelle chirurgies esthétique. La plasticodermie a aussi touché l’image de Catherine Deneuve en 2016, tandis que tous les hommes récompensés abordent fièrement leur peau marquée par le temps.

Sex symbol

Me voilà lassée de ce cirque : pas grande chose de concret n’appuie les revendications féministes du choix de Jane Fonda comme prix Lumière, on cite notamment les rôles quelle a incarnés, mais voilà, qu’attendre du cinéma hollywoodien en ce qu’il s’agit de la représentation de la femme ?

L’édition spéciale de la revue carbone sur Jane Fonda la décrit notamment comme « sex symbol » et l’ambiguïté du terme tord le cou à la libération des corps que Jane Fonda est censée incarner : son physique est le fruit d’une normalisation qu’une femme contemporaine ne voudra ni atteindre, ni employer comme représentation de la condition féminine. La sexualisation dont son corps est l’objet est également un frein à mon enthousiasme, quand bien même la quatrième de couverture du programme nous montre l’actrice, déterminée mais sage, le poing levé, elle n’est que l’envers de la poupée barbie au regard sensuel qui fait l’affiche.

Plus que des figures féministes, c’est un cinéma féministe pour lequel j’ai l’impression de mendier, et en ce qui concerne Jane Fonda, le festival Lumière a raté une occasion de bien faire les choses.

Je me console de cette imposture avec Linda Williams, qui dans le passionnant Screening Sex, une histoire de la sexualité sur les écrans américains, fait remarquer que Jane Fonda est la première femme dont l’orgasme, intense et indépendant de la volonté d’un homme est représenté dans Barbarella (1968) de Roger Vadim à l’occasion d’une scène de combat contre une machine qui torture par le plaisir.

Les rétrospectives Muriel Box et Claire Denis

Les rétrospectives consacrées à Muriel Box et Claire Denis sont des consolations insuffisantes et c’est même peut-être le minimum qu’il aura fallu faire, quand on considère tout ce qui a été dit et la place écrasante accordées à des figures masculines dans le programme. Ne m’obligez pas à compter, j’en ai déjà la nausée. 

Pour faire office d’anti-vomitif, je joue la sororité dans mes choix de projection, croisés à d’autres critères de curiosité et d’intérêt pour le documentaire. J’ai ainsi eu l’occasion de voir Rattle of a simple man (1964) de Muriel Box : financée difficilement, comme tous les films de l’autrice-réalisatrice, la mise en scène est très sobre, mais Cyrenne, une jeune prostituée incarnée par Diane Cilento, brille de d’une énergie et d’une indépendance farouche qui rase les abus qu’elle a subit, les supporters pervers et la naïveté accablante du héros.

Les thématiques féministes et le nombre important de films réalisés par Muriel Box, soit 14, mais 28 s’il on compte ceux pour lesquelles elle a contribué à l’écriture, dans les années 50 en Angleterre forcent le respect. L’initiative de cette rétrospective provient du San Sebastian Film Festival qui a diffusé l’intégralité de son oeuvre. Le Festival Lumière, qui se caractérise comme festival de patrimoine, pourrait faire germer ce qui est en puissance avec la rétrospective Muriel Box et profiter de sa visibilité pour devenir un lieu de redécouverte de l’histoire des femmes de cinéma.

Conclure

Les relents hypocrites de la communication du festival furent à quelques reprises contredit par la programmation, mais encore fallait-il que les spectateur.trice.s se rendent à ces séances qui n’étaient pas particulièrement mises en valeur. Je pense notamment à F.T.A (1972) de Francine Parker qui met des images précises sur les mots vagues qui décrivent l’engagement politique de Jane Fonda : nous la retrouvons membre d’une troupe de théâtre/musichall satirique qui fait la tournée des bases militaires américaines pendant la Guerre du Vietnam pour dénoncer l’absurdité du conflit. Ce film perdure la mémoire d’un fort antimilitarisme parmi les soldat.e.s, réuni.e.s autour de chansons jubilatoires et de saynète engagées, à la fois ironiques et hilarantes.

Le Festival Lumière fut aussi l’occasion pour le CNC de tenir une table ronde sur le matrimoine et la priorité qu’il accorde à restaurer des films réalisés par des femmes. La présentation initiative de revalorisation de la place des femmes dans l’histoire du Cinéma fut instructive, sachez à présent que Georges Méliès n’est pas le premier réalisateur de fiction qui ait existé, il s’agit d’Alice Guy qui a tenu un rôle primordial chez Gaumont dans les années 1890-1900.

Pour tout dire, je rêve d’un festival de matrimoine d’envergure, bien établi sur ses dix ans d’existence, le Festival Lumière semble posséder les moyens d’en être un.

Photographie par SONIA HADDAD 

Juliette MOINET-MARILLAUD 31 octobre, 2018
Juliette MOINET-MARILLAUD 31 octobre, 2018
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