Ses inspirations et son style
L’enfant Guillermo était solitaire. Éduqué dans la tradition catholique mexicaine, il est plus intéressé par les icônes bibliques sanglantes que par les enseignements de la Trinité. Il partage son temps entre le cinéma, les bandes dessinées, la télévision, l’étude de la cosmologie catholique et la grande bibliothèque de ses parents bourrée de livres aux illustrations horrifiques. Il se passionne pour la biologie, la zoologie, l’anatomie et l’art et les monstres qui hantent ses cauchemars deviennent ses meilleurs amis. Ce mélange de vertus et de violences sera sa première inspiration. L’œuvre de sa vie est un évangile de monstres constitué d’une nouvelle trinité partagée entre La Fiancée de Frankenstein (1935), The Wolfman (2010) et L’Etrange créature du lac noir (1954).
Le fantastique n’est pas une façon d’échapper à la réalité mais une façon de la comprendre. Les contes de fées et les contes d’horreur ont presque tout en commun, ils servent à interpréter le monde et à expliquer ce que nous ne comprenons pas.
Guillermo del Toro est un cinéaste qui s’intéresse à la forme. Les images du XXIème siècles sont belles mais elles manquent de souffrance et d’humanité. Il veut plus que tout laisser des images indélébiles dans l’esprit des spectateurs, faisant appel à leur imagi-nation. A travers Victor Hugo, Oscar Wilde, Borges, Bergman, Murnau, Dreyer.. il s’est forgé un imaginaire qu’il tente tant bien que mal de retranscrire car le cinéma ne doit pas seulement créer des images mais des mythologies visuelles dont on se souvient parfois toute sa vie : le foetus dans 2001, L’Odysée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), la coulée de sang dans The Shining (Stanley Kubrick, 1980), la paupière coupée dans Un chien andalou (Luis Buñuel, 1929), Chaplin dans les rouages des machineries etc..
Si la forme l’intéresse plus que le fond c’est parce que le cinéma se rapproche pour lui de la peinture. De nos jours on s’intéresse à chaque coup de pinceau (la pression, l’épaisseur du trait, le mélange subtil des couleurs) et le cinéaste se doit de peindre un peu mieux à chaque film. Renoir disait « on peint toujours le même arbre ». Déjà dans son premier film, Cronos (1993), Guillermo del Toro peignait son arbre fantastique. Il s’est donné pour objectif de peindre son dernier film d’un seul coup de pinceau.
Etre un artiste reconnu
Le problème dans le cinéma de nos jours n’est plus de trouver l’inspiration car nous en avons toujours trop, il s’agit plutôt de trouver l’argent, surtout en ce qui concerne le film de genre.
On doit l’arrivée des films de genre dans la compétition officielle du Festival de Cannes en 2006 à Thierry Frémaux, président de l’association Frères Lumière et Directeur Artistique du Festival de Cannes, avec Le Labyrinthe de Pan, sixième film du réalisateur mexicain, qui a permis aux créatures d’être prises au sérieux. Ce qui est particulièrement difficile pour lui est de ne pas dégoûter le public sans pour autant plaire à l’establishment de l’art. Le genre du monstre est marginal et il veut en être le représentant, avec ses qualités et ses défauts, l’user jusqu’à la moelle.
Le mot de la fin par DEL TORO
Pour del Toro, les films que vous faites et que vous ratez vous enrichissent bien plus que ceux que vous ne faites pas et qui auraient pu être les plus grands des chefs-d’oeuvres ou les plus mauvais de vos films. Il faut parfois des mois ou des années pour créer un univers et beaucoup d’investissement personnel. Del Toro a investi son propre argent pour le design de sa créature dans The Shape of Water (2017), il a fallu trois ans pour la créer. Pourtant, il est parfois nécessaire d’épurer son travail pour des raisons budgétaires ou à cause de studios frileux.
Il nous raconte cette anecdote : alors qu’ils étaient au Mexique, lui et Alfonso Cuarón ont rencontré un milliardaire, auquel Cuarón a dit « travaille avec nous et on va faire de toi un millionnaire ». Un film coûte beaucoup et peu de projets se concrétisent.
Mes impressions
Tout le monde est séduit par la personnalité attachante de Guillermo del Toro, mais c’est aussi un « Mother Fucker », comme tous les passionnés, selon lui, qui dit franchement ce qu’il pense des autres artistes et de leur travail. Je ne crois pas avoir déjà vu un homme hanté par son art à ce point et par l’art en général. Et je ne parle même pas de ses deux maisons pleines à craquer de peintures et d’objets en tout genre et de ses treize bibliothèques. Il a un regard très sincère, juste sur son travail et sait prendre du recul, mais lorsqu’il fait une erreur il préfère l’assumer jusqu’au bout et voir ce qu’elle donnera une fois à l’écran.
Je retiens une phrase en particulier : « Il faut réévaluer tous les grands cinéastes du point de vue formel. »
Et c’est pour cette raison que George Miller et Michael Mann ont accepté de s’enfermer deux semaines avec Guillermo del Toro pour donner naissance à un livre sur l’image cinématographique et sur la façon de créer des univers visuels inspirés et inspirants. Peut-être le nouveau Hitchcock/Truffaut?
Provenance de l'image d'illustration inconnue