Jeux d’échelles, cinéma et course à l’échalote

Autant vous le dire tout de suite, mon approche dans cet article est entachée par mes études. En géographie, il y a toujours une histoire d’échelle. L’échelle, la proportion, c’est le rapport entre deux valeurs, souvent celle de la réalité, et celle de la carte. C’est la comparaison, qui permet de dire : « ça, c’est plus bidule que ci ». Et la comparaison à une référence est nécessaire pour dire : « ça c’est bidule ». Quel rapport avec le cinéma alors ? La cause est un ressenti personnel qui se trouve dans le trailer du film « Star Wars : le réveil de la force ». Ce sont les 17 premières secondes en quatre plans, pendant lesquelles on passe de la taille du visage de l’héroïne en gros plan, à un volume industriel/artificiel d’un seul tenant qui semble très (répéter à l’envie) grand. Le petit repère jaune incrusté suit la taille du personnage.

Figure 1 : Tête du personnage en gros plan : échelle humaine, mise en place du décor.

Figure 2 : Le personnage bricole dans un endroit technique : échelle d’une pièce de bâtiment.

Figure 3 : Déplacement à travers un vide vertical et sombre : échelle inconnue et espace bien plus vaste que le précédent. Le sombre laisse planer un flou sur les limites.

Figure 4 : on perd presque l’humain de vue, sensation de vide : c’est immense ! Et où sont les délimitations du batiment, toujours cachées par ce manque de lumière ! 

La scène de Star Wars contient une progression qui accélère continuellement pour montrer que c’est encore et toujours plus grand.
Et si ça ne s’arrêtait jamais ? Comme des poupées russes, ou d’une lointaine manière les formes fractales, lesquelles ont leur structure qui se répète quelle que soit l’échelle d’observation.
Pour le vertige des ordres de grandeur, cette petite vidéo nommée sobrement « puissances de 10 » illustre le voyage de l’infiniment petit à l’infiniment grand ou inversement.
Bon, mais y a-t-il d’autres cas que ces 17 secondes de début d’un trailer, dont je n’ai par ailleurs pas vu le film ?

Figure 5 : « Puissances de 10 » - Youtube. Une plongée dans l’infini… et les moyens techniques pédagogiques d’époque !

Voici quatre exemples de films où les jeux d’échelles sont utilisés, et ce dans le but du toujours plus. Question préliminaire : quels sont les points communs entre ces films ? Peut-être un budget et un public cible relativement semblable ?

Figure 6 : Le Seigneur des Anneaux – Le retour du roi, 2003.

Le Seigneur des anneaux : dans des batailles de très grande taille, le jeu d’échelle est produit doublement. D’une part les individus sont infiniment petits devant de très grandes murailles. Et d’autre part, la somme de ces individus, devient elle-même plus grande que les autres éléments, s’étalant « à perte de vue ».

Figure 7 : La Guerre des Etoiles – L’empire contre-attaque, 1980. Annotation des 3 échelles visibles.

Star Wars : l’effet classique d’échelle est de faire apparaître au fur et à mesure des vaisseaux toujours plus grands que les précédents Encore une fois, ça marche, mais il faut faire preuve de retenue et utiliser l’effet avec parcimonie pour en garder toute sa saveur.

 Figure 8 : Interstellar, 2014.

Insterstellar : de très grandes vagues. Eh oui, « ce ne sont pas des montagnes, mais des vagues » nous dit, un peu interloqué, le héros. Ici le gigantesque viendra directement et simplement de la comparaison : « des vagues grandes comme des montagnes ». Simple, efficace.

 Figure 9 : King Kong, 1933.

King Kong : on retrouve l’échelle d’un animal qui ne devrait pas être aussi gros, dans une ville aux gratte-ciels eux même très hauts. Dans cette version originale, les animations, graphismes etc. ont mal vieillit. Mais c’est l’occasion de remarquer les poils de la peluche qui bougent tout seul, d’en déduire une utilisation du stop-motion, et donc de relire l’article du précédent numéro !

Exercice : avant de lire la suite faites vous-même le mini exercice : prenez un bout de papier et dessinez ou écrivez ce que vous voulez sur le thème de « gigantesque »...

Voici quelques éléments que j’avais en tête pour explorer plus théoriquement le sujet de cet article : je ferais l’hypothèse qu’il y a une subtilité entre le « très grand » et le « gigantesque », et que l’effet de gigantesque vient plus facilement dans les représentations qui sont en relief ou profondeur.

Je ne résiste pas à l’illustration de ce petit passage avec une quelconque peinture du moyen âge : c’est tellement varié en termes de proportions que les qualificatifs relatifs de minuscule, gigantesque etc. n’ont plus trop de sens. Joyeux bazar !

Figure 10 : Gigantesques personnes, ou minuscules bâtiments ? Comparaison oui, mais qui est la référence ? 

Vous pouvez lire sur la base de données Persée « les seuils du gigantesque », retranscription de discussion entre personnes universitaires masculines qui parlent des choses du monde dans leur coin. Aride, mais histoire d’utiliser quand même un bout de ce texte, je retiens que : « l’agrandissement mécanique ne suffit pas à l’obtention d’effets grandioses » (O.Bugelin). 
Alors, tentative d’illustration :

Figure 11 : Et effectivement, je dirais que ça, c’est seulement « de plus en plus grand ».

  

Figure 12 : Mais ça, c’est gigantesque. Les deux personnages sont les mêmes sur l’image de gauche et celle-ci.


Faire toujours plus grand semble être une habitude des sociétés humaines. Une attirance pour le grand, le grandiose, le gigantesque. Le cinéma qui se veut spectaculaire, d’aventure, de science-fiction, est formaté par ça et le public aussi. A ce sujet des films du gigantesque, cette liste sur le site Sens Critique : « Destruction massive, gigantisme... et alors ? » fait ressortir une teinte bien marronatre de ce cinéma du gigantisme et de la destruction.

Toutes ces choses de grande taille, que l’être humain construit, qu’elles soient phalloïdes (souvent) ou pas, ressemblent peut-être à une mise en matière de l’envie de toujours plus ; et du pouvoir ! Toujours dans le recueil, citons qu’ « il faut écraser la société non pas seulement sous le talon de la répression, mais par l’impression que le pouvoir est quelque chose de sublime, de fantastique, d’énorme. » (E.Morin). Souvent le cinéma traite de sociétés qui ressemblent aux nôtres : centralisées, autoritaires, où le pouvoir et la domination est le centre de tout. 

Et si nous souhaitions une société et un cinéma à taille humaine ?
Il existe aussi du cinéma de la décentralisation, du sentiment et de l’imaginaire ; de la solidarité, de l’amour et de la douceur. Mais est-ce avec les même moyens, les mêmes visibilités ?

Benoît Lautier 3 octobre, 2023
Benoît Lautier 3 octobre, 2023
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