Virginie est une agricultrice, une femme forte, énergique, veuve et mère de deux enfants. Elle a su s’imposer dans un milieu qui lui était hostile en prenant des décisions fermes. Ainsi, elle s’est lancée à corps perdu dans l’élevage de sauterelles, ce qui lui semble être non seulement le futur de l’alimentation mais aussi le seul moyen de continuer à subvenir aux besoins de sa famille. Jugée par ses voisins, amis, les gens du milieu et petit à petit par ses propres enfants, elle se donne entièrement à ses insectes, ces derniers en réclamant toujours plus et se changeant progressivement en une menace sanguinaire planant au-dessus des personnages.
Malgré ce scénario anxiogène, Just Philippot n’apprécie pas vraiment que l’on qualifie son premier long-métrage de film d’horreur. Et en effet, on peut aisément comprendre que son propos va bien plus loin. Cette nuée après tout n’est qu’un prétexte, un décor nécessaire au véritable drame : une famille soudée qui s’effiloche petit à petit. Ces liens qui nous unissent et qui sont mis à l’épreuve face au danger, les pulsions, la rage de survie, sont autant de thématiques que l’on retrouvait déjà dans le court métrage Acid (2019), largement récompensé dans les festivals. Pluie mortelle, nuage de sauterelles, famille déchirée, sacrifice ultime, on s’y retrouve. Le scénario écrit par Jérôme Genevray et Frank Victor semblait fait sur mesure pour le jeune réalisateur qui pourtant, déterminé à ne pas faire partie de ceux qui se contentent de transposer un récit à l’écran, se permet quelques modifications. Porté par ses producteurs il « saute dans le train » pour reprendre son expression, s’approprie cet univers, s’y plonge entièrement, y insuffle son âme en s’enfonçant dans ses sensations, ses désirs. C’est par ailleurs un film que l’on ressent véritablement, et qui, à l’instar de Grave (2016) de Julia Ducournau, auquel il a été évidemment comparé, n’a pas peur d’aller jusqu’au bout et de tordre le ventre du spectateur : on ne sort pas indemne de la séance. Pourtant, l’horreur n’est jamais grossière, ni gratuite : la nuée doit rester une menace sourde, diffuse, une angoisse qui flotte dans l’air, omniprésente et invisible, se rapprochant inéluctablement.
Just Philippot a voulu rester au plus près du réel, au point que l’on puisse presque croire à cette histoire. Cela est dû en partie au travail important de documentation des scénaristes qui ont écouté avec attention le témoignage d’une agricultrice ayant réellement élevé des sauterelles, et se sont rendus dans une usine de production de farine d’insectes, mais également grâce à l’attention que le réalisateur a porté à ses protagonistes, leur offrant une large palette de nuances psychologique. Ainsi, Paul, le gros fermier rougeaud se change en Karim (Sofian Khammes, avec qui il avait déjà collaboré dans Acid), ami dévoué, amoureux timide sans en avoir le temps. « C’est une histoire d’amour » sourit d’ailleurs Just Philippot pour présenter son film.
Quant à Suliane Brahim (pensionnaire de la comédie française, Hors norme (2019), Libre et assoupi (2014)) elle excelle dans son rôle de mère surpassée, s’enfonçant de plus en plus profondément dans ses mensonges. C’est une femme qui encaisse, prends les responsabilités nécessaires, assume ses choix et surtout qui n’a pas le temps de s’arrêter. On voit bien, avec une certaine angoisse, qu’elle est en réaction permanente et se retrouve prise dans cet engrenage terrifiant. Elle se sera finalement enfermée toute seule dans une impasse. Si elle s’obsède de plus en plus au long du film au point d’être tout autant métamorphosée que ses sauterelles, on comprend néanmoins qu’elle suit son instinct de manière viscérale, tout en se projetant : elle croit en un avenir meilleur auquel elle consacre toute son énergie. C’est avant tout un personnage qui a la foi. Elle offre son sang sans hésiter comme le tribu à payer, un sacrifice inévitable pour obtenir la prospérité. Et lorsque le contrat est brisé, la mort s’abat sur les personnages tel le châtiment d’une divinité vengeresse, qui ne va pas sans rappeler le fléau annoncé par Moïse au Pharaon. La Nuée, c’est la réponse de la nature à l’être humain, celle que l’on croit dominer mais qui ne donne pas sans prendre à son tour. Concrètement, on ne peut pas parler de surnaturel, ce sont les hommes les créateurs du chaos.
Plutôt que film d’horreur, Just Philippot parle d’ailleurs plutôt de film à catastrophe, apocalyptique Mais contrairement aux films de ce genre des années quatre-vingt-dix, dans lesquels les héros restaient soudés face au danger, ici le cercle se réduit, focalisant le danger sur les derniers restant, le sacrifice apparaît comme nécessaire pour sauver celui qui portera le futur – l’enfant donc. Le cadre devient de plus en plus oppressant, entre la lumière verte malsaine des dômes géodésique et la nuit noire, étouffante, qui engloutit les personnages et dissimule la masse énorme de sauterelles dont on ignore où elle va s’abattre. Le son est aussi travaillé pour faire monter cette tension, augmentant de plus en plus jusqu’à devenir insoutenable. Ça stridule, ça grouille, ça s’infiltre insidieusement par toutes les ouvertures, on ne peut y échapper.
Ce qui fait aussi la virtuosité de ce premier long-métrage, c’est l’harmonie entre les effets spéciaux et naturels. Pour réaliser son film, le réalisateur a véritablement loué près de 4000 sauterelles : « On les a placées comme des magnets là où on voulait, c’était très pratique » s’amuse-t-il à raconter. La direction d’acteur dans ce contexte un peu particulier – moitié fond vert- devait être très énergique, voire violente : « Je criais sur les actrices pour qu’elle ne soient jamais en sous-jeu, car elles avaient toujours peur d’exagérer l’horreur alors que j’en voulais davantage. C’est difficile de s’imaginer un vol de sauterelles tueuses, alors j’essayais de les mettre en situation, pour les pousser au maximum. Pour que Laura ait l’air vraiment égarée dans la scène finale, je l’ai faite tourner sur elle-même pendant une minute, ce qui l’empêchait d’être tout à fait bien placée sur les marquages au sol et rendait fou mon cadreur. Mais si tu bosse avec les bonnes personnes, crois-moi tu vas t’en sortir. »
Le film, entièrement tourné en Auvergne en trente -cinq jours, est un sacré défi : Just Philippot voulait réaliser ce premier film comme si c’était le dernier, en prenant tous les risques. Il veut faire une œuvre qui lui ressemble, dont il n’aura pas à avoir honte, en se détachant pour cela des avis, se mettant à distance de tout pour explorer au plus loin sa sensibilité. Et il peut s’estimer heureux de ce parti pris : les scénaristes déclarent « C’est un scénario de Jérôme Genevray et Frank Victor, mais c’est un film de Just Philippot. Et ça, c’est rare en France. » Les critiques, elles, sont enthousiastes. Le film percute. Pari gagné !
Auvergne Rhône Alpes Cinéma est une société privée de co-production dont la région est l’actionnaire principale, dans le but de promouvoir le cinéma. Quatre fois par an, des appels à projets sont organisés. Les dossiers sont examinés par des professionnels du milieu, et entre quatre et cinq films sont sélectionnés par comité. Ces projets peuvent appartenir à la fiction comme au documentaire, ou à l’animation … ARAC est également partenaire de nombreux festivals, celui de Villeurbanne dans lequel sont diffusés notamment une partie des films co-produit, celui d’Annecy, et de Clermont-Ferrand. Ils possèdent également une branche spécialisée dans l’aide au développement du scénario.
LA NUÉE DOIT RESTER UNE MENACE SOURDE, DIFFUSE, UNE ANGOISSE QUI FLOTTE DANS L’AIR, OMNIPRÉSENTE ET INVISIBLE, SE RAPPROCHANT INÉLUCTABLEMENT.