La Vie d’Adèle
un film à regarder avec des pincettes

I, I follow/I follow you, deep sea, baby…. Cet air que l’on connaît tous, Adèle le connaît aussi. 18 ans, un anniversaire surprise, de la joie et pourtant… Qu’est ce qui se cache derrière cette scène, qu’y a t-il derrière ce film ? 

La vie d’Adèle, chapitre un et deux est un film D’Abdellatif Kechiche datant de 2013. Adapté du roman graphique de Jul’ Maroh, il raconte une histoire d’amour passionnelle entre deux jeunes femmes. Il obtient de nombreuses récompenses dont la palme d’or à Canne en 2013 (décernée aux deux actrices, une première pour ce festival). Le film eut un immense retentissement dans la presse, les médias et l’opinion, grâce à sa puissance et à cause de conditions de tournage compliquées et d’un contexte étonnant. En effet Kechiche n’adresse pas un remerciement a Jul’ Maroch à Canne, les techniciens se plaignent de beaucoup du travail et des salaires bas, enfin les deux actrices principales dénoncent des conditions de tournage dures et très longues. Je vais, bien qu’il soit intéressant de creuser ces sujets, me concentrer sur le film exclusivement. 

Ce sont ces discussions animées et la controverse qui un jour m’ont poussé à le regarder, c’était un peu comme une référence, un classique. La première fois que je l’ai vu je devais avoir 16 ans et je me souviens avoir beaucoup apprécié, j’avais été touchée par cette histoire, belle, complexe et tragique. J’avais aimé l’histoire mais aussi la manière très intime de filmer le jeu touchant d’Adèle Exarchopoulos et de Léa Seydoux. Ce n’est que le revisionnant récemment, avec un regard plus attentif, que j’ai pu observer les multiples références comme la vie de Marianne de Marivaux, l’Existentialisme de Jean-Paul Sartre, des extraits de du film Loulou de Pabst ou en-core la présence d’œuvres d’art tout au long du film. 

Ça à été aussi l’occasion d’entrevoir plus clairement la vision « caricaturée » par laquelle Kechiche nous présente la société. Une société représentée, d’un côté une famille bourgeoise ouverte d’esprit, dans laquelle on mange des fruits de mer régulièrement, qui est cultivée et qui aime l’art et et de l’autre une famille plus modeste qui mange sans arrêt des pattes à la bolognaise en regardant question pour un champion et dont les parents conseillent à leurs fille d’avoir un « vrai métier ». 

Mais surtout, et ce sur quoi je vais insister, j’ai été particulièrement abasourdie face à la représentation de la femme et plus particulièrement des lesbiennes.

L’histoire se développe entre deux femmes, Adèle et Emma. Adèle découvre la sexualité d’abord avec un homme, par conformisme, puis avec Emma, par amour. Elles vivent la passion et petit à petit l’histoire tourne au drame. C’est une histoire d’amour comme on en vit, comme on en voit et comme on en lit, et cela bien qu’elles soient deux femmes. Bien qu’on ressente le poids de l’homophobie, Adèle n’ose pas présenter Emma à ses parents comme sa petite amie, la re-jettent, la stigmatisent, le sujet n’est pas vraiment développé. On suit par exemple Adèle dans ses études, la découverte et son évolution dans son métier, mais on ne la voit jamais réfléchir et se construire vis à vis de sa sexualité. On pourrait dire, comme Steven Spielberg, que c’est «une très belle histoire, un amour magnifique auquel tout le monde peut s’identifier, peu importe la sexualité» (discours lors de la remise de la palme d’or, 2013). Cependant ce n’est peut être pas tout a fait le cas. En effet, Abdellatif Kechiche cherche à se rapprocher d’un fort réalisme. Que se soit en filmant des moments assez banals de la vie courante, ou cherchant des émotions « naturelles » chez ses acteurs en les faisant jouer, improviser pendant des heures sans couper. Mais la représentation lesbienne sonne très faux, et il est dur pour une femme ayant des relations avec d’autres femmes, me semble-t-il, d’y voir du réalisme. 

Déjà il y a quelques années j’avais trouvé que, en effet, il y a « du sexe pour du sexe ». En le revoyant à présent je n’y vois plus seulement du sexe gratuit, qui apporte très peu à la narration, mais surtout du sexe fantasmé, imaginé par un homme. Montrer la sexualité au cinéma est quelque chose d’important. La sexualité fait par-tie de nos vies, elle permet de montrer, d’exprimer la passion, les sentiments, les tensions ou les problèmes d’une relation (quelle qu’elle soit), la sexualité à une réelle importance narrative. De plus dans le cas d’une relation saphique (les-bienne) la représentation de la sexualité permet une représentation et une visibilité.

Le problème est là. Abdellatif Kechiche dès le début du film (premier rêve érotique ) représente une sexualité « parfaite » la lumière est maîtrisée, le corps d’Adèle est cambré à la perfection… Puis les scènes de sexe se succèdent et durent très (trop) longtemps à chaque fois. Et si le maître mot de Kechiche est « réalisme » ici il n’en est rien. Les scènes qu’il donne à voir sont la représentation d’un fantasme d’homme sur la femme et les femmes entres elles. Abdellatif Kechiche au moment de la présentation du film à Canne dit au micro de France Inter à propos des relations crues et longues, «Je m’interroge beaucoup, comme tous les hommes d’ailleurs, on ne peut qu’être bouleversé ou presque in-quiet, on est toujours fragile devant quelque chose qu’on comprend pas, qu’on ne sait pas ou qu’on ne ressent pas et quand même temps on trouve tellement belle. Donc pour moi ça allait de soi le désir de filmer, de montrer cette pas-sion, cette énigme ». Cette phrase confirme le sentiment qui surgit quand on découvre la pre-mière relation sexuelle qu’ont les deux femmes. Alors qu’elle se découvre dans une sexualité lesbienne, Adèle est déjà très expérimentée, elle « sait », à aucun moment on ne voit Emma lui montrer, lui apprendre, la guider. Les scènes de sexe se déroulent sans dialogue, sans pause, sans sensualité. Par la suite Kechiche nous donne à voir des enchaînements acrobatiques qui résulte d’une vison caricaturale et sociétale de la sexua-lité lesbienne. Il y a très peu de moments ou ces amoureuses, car il s’agit bien de cela, prennent le temps, ont une vraie connexion.

Attention je ne dis pas qu’il faudrait du sexe doux et mièvre entre lesbiennes, comme on peut si souvent le retrouver. Mais le réel danger, et je l’ai constaté en lisant des dizaines de critiques du film, c’est que certains parlent de grand et fabuleux réalisme des scènes de sexe. Ce film au lieu d’apporter une vision réaliste du corps de la femme et de sa sexualité, perpétue des clichés en reproduisant des fantasmes dignes de films pornographiques. Les deux femmes, au lieu de se construire dans leur relation progressivement sur les longues années qu’elles vivent ensemble, sont dès le début, là pour satisfaire la curiosité des hommes. 

Si ce film est intéressant, beau et touchant, il est important de le regarder avec une regard cri-tique et attentif et ne pas tomber dans le piège de l’illusion de la réalité que nous tend Abdellatif Kechiche.

Pour terminer je peux vous recommander de voir un film comme Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, réalisé par une femme concernée, pour prendre la mesure de la différence de représentation. Et bien sûr je vous conseille vivement de lire le magnifique roman graphique Le bleu est une couleur chaude de Jul’ Maroch dont est tirée l’histoire de la vie d’Adèle.

Illustration "Le bleu est une couleur chaude"
de Jul' Maroh Éditions Glénat

Claire LANG 31 décembre, 2022
Claire LANG 31 décembre, 2022
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