Depuis les années 1980, le format du clip vidéo musical s’est vu popularisé par diverses chaines de télévision dont la plus renommé MTV, a contribué à en faire une forme artistique à part entière. Protéiforme dès son essence, une rencontre entre la musique et l’audiovisuel, le clip est parvenu à se réinventer tout en se codifiant progressivement. Le vidéo-clip est en premier lieu un argument commercial au même titre que la publicité, formant l’image d’un artiste dans le but de faire consommer ses produits dérivés. Néanmoins, il reste un espace de liberté créative encore plus dense que le cinéma narratif traditionnel, pouvant par sa forme s’approcher du cinéma expérimental. Devenant une œuvre en soi que l’on peut visionner inlassablement, le clip nous émerveille, touche à notre sensibilité par sa créativité et inspire indéfiniment.
Pour détailler cet amour du vidéo-clip, j’ai fait le choix de commenter cinq œuvres aussi variées que représentatives d’une certaine idée de ce format unique.
Sledgehammer – Peter Gabriel - réal. Stephen R. Johnson / Aardman Animations (1986)
Au sommet de sa gloire, Peter Gabriel voit son corps être détruit, reconstruit, modelé puis déstructuré. Par l’usage passionnant d’un alliage entre la stop-motion et le visage du chanteur, les réalisateurs font de son corps le matériel principal de leur clip. De la création de la vie jusqu’au défilé absurde et métaphorique des paroles suggestives de Gabriel, ce clip est une ode à la création. Sous différentes formes, chaque moment retranscrit un état esthétique (danse, stop-motion, pâte à modeler, …) dans une frénésie artistique jouissive. Un véritable manifeste de l’art du vidéo-clip.
Karma Police – Radiohead – réal. Jonathan Glazer (1997)
Dans la nuit roule une voiture sur une route obscure. A l’intérieur personne, comme si la Christine de John Carpenter avait pris vie. Au loin court un homme poursuivi par cette machine possédée. Sur la place arrière, Thom Yorke apparaît puis disparaît de nouveau. Laissant le véhicule se confronter à l’homme, plus intelligent que la machine, trouvant un moyen de la détruire. La maitrise calme de Glazer par ses mouvements de caméra couplé à l’atmosphère musicale du groupe en fait une œuvre hypnotisante et fascinante. Résultat de la rencontre entre la mélancolie de Radiohead et l’étrangeté macabre de l’univers de Jonathan Glazer.
We’re in this together – Nine Inch Nails - réal. Mark Pellington (1999)
La musique peut nous évoquer des émotions mais aussi un monde, un univers intérieur. La musique de Nine Inch Nails est celle d’une rage destructrice autant qu’une profonde vulnérabilité. La transposition audiovisuelle d’un de leurs plus grands morceaux convoque l’imaginaire critique du totalitarisme de l’œuvre de George Orwell et Fritz Lang. Dans un noir et blanc lui donnant une esthétique cinématographique, la musique brutale et puissante se développe dans une imagerie emplie de mystères : pourquoi ce tumulte et ou vont ses hommes fuyants la peur sur leurs visages ? A la manière d’une peinture abstraite évocatrice de sens, ce clip laisse imprimer nos propres émotions, ouvrant à l’interprétation.
Weapon of choice – Fatboy Slim – réal. Spike Jonze (2001)
Revenons à la musique et son degré essentiel, son rythme, qui résulte en une réaction corporelle, la danse. Le cinéaste Spike Jonze (Being John Malkovich, Her) en prend compte, dessinant les fluctuations sonores électroniques de la musique de Fatboy Slim sur les mouvements étonnants de Christopher Walken. Le morne quotidien de ce qui semble être le propriétaire d’un hôtel vide se transforme en un numéro de comédie musicale dans des lieux désaffectés. Laissant libre cours à ses mouvements, il bascule dans une pure fantaisie. Jonze transforme une réalité banale dans les plus fantasques mouvements corporels, de la danse jusqu’à l’apesanteur.
Let It Happen – Tame Impala - réal. David Wilson (2015)
Le récit, en grande partie absent des clips, peut être un moyen fécond de capter l’audience. Dans celui pour Tame Impala, le cinéaste prend un postulat simple et direct : un homme d’affaires rentre dans un aéroport et à une crise cardiaque. Entre en scène la prodigieuse ingéniosité du format du vidéo-clip, retranscrivant visuellement l’état du protagoniste. En prenant son point de vue lors de sa chute ou en imaginant un crash d’avion, métaphore de sa propre mort, Wilson explore différentes possibilités esthétiques sur le rythme musical de Kevin Parker. L’ingéniosité des transitions, entre imaginaire et réalité, explose littéralement du cadre lors des chocs électriques d’un défibrillateur. Les diverses strates visuelles et narratives se recoupent alors, entre les coups de guitare, de défibrillateur et la sortie hors cadre d’une ligne traçant les contours du corps du protagoniste. Musique et visuel ne font plus qu’un.