Le fantôme de la liberté ou un très beau mirage
un petit hommage en forme de rose à Luis Buñuel

Mes chers amis, comme la cinémathèque française organise en ce moment une rétrospective sur l’œuvre de Luis Buñuel, et que ni vous ni moi, à cause du confinement, ne pourrons-nous y rendre, je trouvais judicieux de rendre un petit hommage en forme de rose à cet immense cinéaste corrosif et anarchisant.

IL FAUT DIRE QU’EN CE MOMENT,  ON A BIEN BESOIN D’UN PEU D’ANARCHIE ET DE RADICALITÉ :  DANS UN MONDE OÙ L’ESTHÉTIQUE  NE SE LAISSE QUE TROP PEU TENTER PAR DE PETITES ERRANCES DE FOLIE  DANS LESQUELLES ON FOULE LE  PAVÉ DE LA LIBERTÉ. 

La liberté justement, en voilà un vaste sujet. La liberté c’est le thème de ce film de Luis Buñuel, qui profite de l’occasion pour nous rappeler qu’il est peut-être, et est certainement, un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Pesons nos mots.

Je ne ferais pas de biographie. Je ne ferais pas de biographie pour deux raisons majeures : la première c’est que je ne suis pas biographe, la seconde c’est que je ne suis pas Buñuel et qu’il n’y a rien de mieux pour raconter Buñuel qu’être Buñuel, et que Buñuel l’a fait merveilleusement bien dans un très beau livre  : Mon dernier soupir (1982). Les choses sont dites. Cependant je me permettrais tout de même de préciser quelques données importantes à prendre en compte pour la rencontre avec ce film  : tout d’abord, il faut savoir que Buñuel est le réalisateur du film Un Chien Andalou, qu’il réalise en 1929 avec son ami Salvador Dali. Ce court métrage de vingt minutes annonce la naissance du cinéma surréaliste. Il s’agit d’un film écrit sous la forme d’un cadavre exquis dans lequel le cinéaste enchaîne avec un montage novateur et révolutionnaire, des images toutes plus surprenantes et irréelles les unes que les autres. A peine réalise-t-il ce premier film qu’il se met déjà à dos contre lui à peu près toute la bourgeoisie bienpensante de son époque. Et s’il faut reconnaitre à Luis Buñuel un sens de l’humour évident, il ne faudrait pas oublier que c’est un sacré revanchard  : il récidive l’année suivante avec l’Age d’or, dans lequel il attaque tous ceux qui ne l’ont pas beaucoup soutenu à ces débuts. Une fois de plus, nous avons affaire à un film franchement surréaliste mais qui renforce d’autant plus son aspect anticlérical, antibourgeois, anti-conventionnel. 

IL EST IMPORTANT DE PRÉCISER  QUE TOUTE LA CARRIÈRE DU  CINÉASTE REPOSE SUR LE TERME  DE « SCANDALE » : AUCUN DE SES  FILMS N’Y A ÉCHAPPÉ. 

Je vous laisse évidemment le plaisir de découvrir ses débuts sans vous spoiler.
Le fantôme de la liberté (1974) fait partie des derniers films du cinéaste, lequel ne restera pas totalement cloisonné au surréalisme et cherchera au contraire à évoluer vers des formes nouvelles  : une forme évoluée du surréalisme, plus scénarisé mais toujours aussi violente.
En témoigne, donc, ce Fantôme de la liberté dont le titre peut paraître étrange. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Karl Marx commence son ouvrage comme ceci : « Un spectre hante l’Europe : le spectre communisme ».

Buñuel assimile dans le titre de son film la liberté et le communisme, ce qui fait officiellement de lui un cinéaste de gauche. Mais cela annonce surtout sur le contenu qu’il va proposer au sein de son œuvre. 

LA LIBERTÉ DEVIENT DONC UN  OBJET POLITIQUE, 

mais elle est ici réduite à un état de fantôme, un fantôme qui n’interviendrait que par petite touche, pour chatouiller le pied d’êtres étriqués. Une liberté, celle de l’auteur, qui intervient avec parcimonie (caractéristique de l’humour noir buñuelien) afin de montrer la vacuité de certaines âmes humaines. L’enjeu du film est de rire d’individus qui deviennent les pantins du cinéaste. 
Voici le pitch du film. Il faut dire que celui-ci n’est pas évident à définir parce que la structure de l’œuvre est totalement libre. Disons que le film est un récit-cadre. Mais dans lequel on perdrait progressivement le cadre. On se retrouve avec une série de nouvelles autonomes et en interaction mais dissociables les unes des autres.

Des militaires qui chassent des renards. Un sadomasochiste. Des policiers farceurs. Un monsieur qui donne des images à des petites filles. Un meurtrier célébré. Un préfet de police. Une manifestation réprimée. Jean Rochefort. L’indépendance de l’Espagne en 1830. Goya. Une sœur morte qui passe un coup de fil. Des moines dans un hôtel. Une autruche dans une chambre. 
Voilà en gros pour résumer très sommairement le film et pour éviter surtout de révéler des éléments importants du scénario. Si je suis aussi peu clair c’est pour la simple et bonne raison que je ne veux pas révéler le système ingénieux du cinéaste pour passer d’une histoire à une autre, pour les mettre en contact. Une astuce scénaristique concoctée avec Jean-Claude Carrière et qui fonctionne du feu de dieu, car en plus de garder toujours attentif le spectateur, le film nous gratifie avec amour de son ingéniosité qui ne cesse de croitre. Le cinéaste introduit toute la diégèse de son œuvre et nous balade, comme un fantôme, d’une vie à une autre. 

BUÑUEL JOUE ICI  L'ENTOMOLOGISTE : EXPÉRIMENTER,  PERTURBER DES ÊTRES HUMAINS  POUR CONTEMPLER ET RIRE DE  LEURS RÉACTIONS. 

Pour y parvenir, et cela n’est pas si surprenant, Buñuel cinéaste sadique par excellence, prend les valeurs de la société et les tord, afin de créer une œuvre dissonante.

Le film n’est pas pour autant sadique avec n’importe qui, ça va sans dire. Si vous faites partie d’une certaine élite sociale, vous risquez d’être vite vexé par le cinéaste qui n’hésitera pas à vous mépriser sans la moindre subtilité. Il faut dire qu’ici, tous les personnages du film, sans exception, font soit partie d’une certaine bourgeoisie parisienne, soit sont représentant d’une autorité religieuse ou sociétale (la police notamment). Cela n’est pas vraiment surprenant de la part d’un cinéaste qui a toujours revendiqué sa haine envers toute forme de Pouvoir (n’oublions pas le film précédent du réalisateur  : Le charme discret de la bourgeoisie (1972), qui, rien que dans son titre, annonce le chant du cygne de ses ennemies de toujours). Malgré tout, on sent que Buñuel devient de plus en plus sage et l’aspect corrosif du film passe au second plan au profit d’une majesté cynique qui ne sombre jamais dans la mauvaise foi.

Car là est toute la particularité du film, le dissociant ainsi de certaines de ses frasques anti-bourgeoise (L’Ange exterminateur (1962) est, dans un autre style, très radical pour dénoncer l’immobilité d’une certaine société)  : les personnages ne sont pas antipathiques. Ils sont étranges, ils sont hors-sols et le jeu des acteurs retranscrit cela à merveille. Tout semble flotter comme dans un rêve. Un rêve agréable. Un rêve duquel on ne voudrait pas sortir.

Un rêve si harmonieux que Buñuel nous prend au jeu et nous fait accepter les situations les plus cocasses sans la moindre retenue. Si on peut avoir certaine réticence avec la folie du film au début (surtout si on n’est pas habitué à ce genre d’étrangeté pelliculaire), le rythme et la mise en scène du cinéaste font totalement tomber le mur que l’on pourrait poser devant l’œuvre et on se laisse prendre par la main. On se laisse accompagner gaiement jusqu’à la fin du film.

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SUITE SANS SPOILER :

Le film suivant de Luis Buñuel est dans un ton beaucoup plus tragique que celui-ci. La sensation d’assister et de contempler des personnages hors-sols est d’autant plus présente. 

FINALEMENT, LE FANTÔME DE LA  LIBERTÉ N’EST-IL PAS L’ADIEU D’UN  CINÉASTE QUI PRÉFÈRE REJOINDRE LES FANTÔMES, LOIN DU MONDE,  PLUTÔT QUE DE TENTER DE SE  BATTRE CONTRE CETTE MÉDIOCRITÉ  AMBIANTE ? 

Le cinéaste a fait ce choix-là, choix logique de la part d’un vieil homme qui retire sa tenue de républicain espagnol belliciste au profit de celui de la non-violence qui devient dès lors un acte désespéré. Lorsque tout est essayé, lorsque tout est détruit, que tout a raté, il ne reste plus que le rire  : dernière arme révolutionnaire, dernier souffle de vie dans un monde de mort. Et justement, le fantôme n’est-il pas un mort qui continuerait de vivre et qui aurait ce privilège face aux autres morts qui ne sont que des corps et des raisons désincarnées  ? En revoyant le film, je me dis toujours que face à tous les êtres désincarnés qui nous entourent, on doit peut-être, légitimement, refuser de rester des fantômes.

Illustrations par Maël MEDINA


Lucas PEYRE 31 janvier, 2021
Lucas PEYRE 31 janvier, 2021
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