Un des champs rarement abordés dans l’étude des images est la pornographie. Cependant d’après une étude de l’IFOP, au moins 60 pour cent des français auraient vu au moins une fois dans leur vie des images à caractère pornographiques, et cela de plus en plus tôt. On note également l’éclosion de scandales sur le mode de production de ces images comme on peut le voir avec le procès du propriétaire du site Jacquie et Michel : Michel Piron, pour complicité de viol et traite d’être humain en bande organisée. Pourtant, des artistes revendiquent la portée esthétique voir féministe que porteraient certaines images pornographiques. Alors certaines productions pornographiques peuvent-elle être considérées comme des œuvres d’art ?
I. Le porno, quésaco ?
La pornographie vient du grecque pornê (prostituée) et graphein (écrire, et plus largement décrire, représenter). Elle désigne d’abord des peintures représentant des prostituées durant l’Antiquité. Elle est ensuite utilisée au 18ème, le siècle des lumières, pour décrire une littérature du libertinage contestataire (désacralisant la monarchie), mettant en avant le plaisir sexuel. Enfin au 20e siècle, arrive la vidéo pornographique qui sera interdite en France jusqu’aux années 70. Aujourd’hui, on définit surtout la pornographie par sa finalité : la masturbation du spectateur. La pornographie est donc définie par son opposition avec l’art, elle n’aurait aucune finalité esthétique contrairement à l’érotisme présent dans certaines œuvres. Elle serait avant tout marchande. Reste que si l’on considère l’esthétique comme le partage d’une expérience sensible permettant de transformer la subjectivité du spectateur, la pornographie est bien esthétique, mais elle tend à donner au spectateur une vision de la sexualité violente et sexiste. De plus, la limite entre pornographie et érotisme n’est pas toujours évidente. En règle générale, les actes dans la pornographie ne sont pas simulés, contrairement aux scènes de sexe au cinéma, ce qui rapproche pour les féministes abolitionnistes, la pornographie de la prostitution. Cependant, on peut se demander si certaines images au cinéma, bien qu’étant simulées par les acteurs et les actrices, n’ont pas également pour finalité l’excitation sexuelle du spectateur (souvent masculin) comme dans les cas d’érotisation de violences sexuelles. Alors qu’à l’inverse certaines scènes de sexes explicites sont peut-être nécessaires pour dénoncer des violences, ou par souci de réalisme. Ces débats sur le caractère pornographique ou non d’une œuvre prennent de la place dans l’espace médiatique, avec la demande de censure par des associations ou d’âge minimum recommandé pour avoir accès à certaines œuvres, comme on le voit avec l’œuvre de Miriam Cahn exposée au Palais de Tokyo.
II. Des propositions esthétiques nouvelles
Plusieurs artistes ou actrices ont tentés de faire de la pornographie autre chose que d’une image sans esthétique, produite pour le plaisir masculin. Une solution pour certaines féministes seraient que les femmes réalisent elles-mêmes de la pornographie. C’est notamment le projet de Sophie Bramly, créatrice du site web SecondSexe.com, voulant réaliser du porno avec des enjeux esthétiques. En 2008, elle produit X femmes, une collection de courts métrages « érotiques explicites » réalisés par des réalisatrices comme Arielle Dombasle ou Laetitia Masson, et avec des actrices et acteurs qui viennent parfois de l’univers du porno, mais pas toujours. D’après l’article de Mélanie Boissonneau « What's new pussycat ? Fantasmes et réalités de ''la pornographie pour femmes'' », le contenu de la pornographie fait par, et à destination des femmes, ne transforme pas toujours les normes de genres, et véhicule encore aussi parfois l’idée que la sexualité des femmes est plus douce que celles des hommes. Certaines productions comme celles proposées par Sophie Bramly semblent cependant être moins sexistes et conventionnelles dans leur contenu, et proposer une vision plus large de la sexualité des femmes. Malheureusement, les questions du mode de production des images pornographiques et des contraintes économiques restent globalement impensées. En effet, l’activité d’actrice pornographique, bien qu’étant reconnue légalement comme une profession, est précaire et pose des risques : risque sur le plateau du tournage du non-respect du consentement de l’actrice, puisque l’actrice à signé un contrat et est payée « pour faire ça », et risques ensuite de jugements et d’exclusion de la part de l’entourage et des employeurs d’industrie non-sexuelles. Ces conséquences ne sont pas forcements les mêmes pour les hommes, pour qui l’activité sexuelle reste largement associée à la virilité. Ces violences sexuelles dans la pornographie sont structurelles à cause de la misogynie présente dans la société, mais aussi à cause des contraintes économiques que posent le plateau de tournage où le temps est de l’argent. Alors peut-on parler de porno féministe quand bien même cette activité participe à la précarisation et l’exclusion des femmes de la société ? Même au sujet des productions les plus féministes, on peut revendiquer qu’un consentement sexuel contractuel et rémunéré n’est pas un consentement libre.
Par ailleurs, des films pornographiques font parfois des propositions expérimentales. C’est le cas des films Sextool et LA plays itself, sortit en 1972, de Halsted. Ces films composés de scènes de sexe “hard” entre hommes, sont conservés dans la collection d’archives du Moma (Museum of modern art, New York). Sur le site il est écrit : “One of the most ambitious and least successful pornographic films ever made, *Sextool*’s/Halsted viewed the film as sexually political ; he establishes visual dialogue between intense BDSM sequences (including some with his lover, Joe Yale) and trans women and drag queens at an upscale party” “William Moritz, writing in Entertainment West, astutely observes the nuances in Halsted’s vision: “The heterosexual, middle-class concepts of marriage and morality that have been foisted upon gays by society are ruptured and banished. The performers are not sex ‘objects’ like the women in straight gigs, to be used and dropped, but rather sex ‘tools,’ instruments to play out fantasies, implements to realize dreams.” On voit donc ici que le film pornographique gay est abordé en tant qu’objet de rupture avec l’hétérosexualité et la moralité bourgeoise. Il permettrait d’éviter la figure de la femme-objet pour celle implicitement moins péjorative d’un « homme outil » moins passif. Plastiquement parlant, on observe des surimpressions peu conventionnels (comme celle de pénétrations sur imprimées sur des éléments de la nature), ou encore des ruptures narratives grâce à des dialogues qui n’ont parfois plus de rapports avec l’image et qui commentent certaines scènes de manière étrangement répétitives. Il y a donc des propositions expérimentales dans ces œuvres, bien que les images d’actes sexuels souvent violents, ne semblent pas toujours liées à ces expérimentations techniques. Pour ce qui est de la rupture avec la morale bourgeoise, il tient plus pour moi au caractère homosexuel des scènes de sexes, et à la place donnée à la culture queer dans des séquences narratives, qu’à la manière explicite de les filmer, et au réalisme des pratiques. Il n’en reste pas moins que cette œuvre va bien au-delà de ce que propose la grande majorité des films pornographiques.
Alors ces œuvres sont-elles des œuvres d’arts ? Oui, si l’on s’en tient à leur apparence finale. En effet, bien qu’ayant toujours une propension masturbatoire apparentée à une expérience sensible, elles proposent aussi une rupture avec les normes de genres dans leur contenu, et des propositions techniques expérimentales. Cependant si l’on considère l’art comme le résultat d’un processus, comme il est courant de le faire dans l’art contemporain, les œuvres pornographiques ne peuvent pas, pour moi, être considérées comme artistiques tant qu’elles ne sont pas questionnées dans leur démarche et dans leurs modes de productions. Quelle est la nécessité de montrer des actes sexuels explicites et réalistes pour mettre en avant le désir féminin ou homosexuel ? Est-il vraiment nécessaire que les acteurs et actrices ne simulent pas ces actes ? Quels sont les impacts de ces pratiques et de ces logiques de productions sur la vie des acteurs et actrices ? Pour entrer vraiment en rupture avec l’ordre sexiste et bourgeois de notre société, il est pour moi nécessaire d’entrer en rupture avec les modes de productions qui les nourrissent, l’industrie de la pornographie étant structurellement violente.