Les cheveux dans le cinéma coréen

Les cheveux, en tant que partie du corps, sont logiquement très présents au cinéma. Nous sommes tellement habitués à leur présence que nous n’y prêtons plus attention. Ils sont, à nos yeux, un détail de l’image globale de l’acteur, tel le nez, les oreilles, les bras… Pourtant, contrairement à ces éléments, ils sont essentiels pour caractériser un personnage, que ce soit culturellement, personnellement ou socialement. 

Pour peu qu’on prenne le temps de les observer, on remarque qu’ils ont un très fort potentiel esthétique et qu’ils peuvent nous révéler énormément sur les films que l’on regarde. Si, selon les cultures, le cheveu n’a pas toujours la même signification, on lui retrouve tout de même des symboliques assez récurrentes. Tout d’abord, un lien assez appuyé à la sensualité et au désir. Puis un reflet du caractère, ou de l’état intérieur, et encore une dimension précieuse et même sacrée. En tant que spectateurs occidentaux, ces éléments ne nous surprennent plus tellement car nous sommes habitués à ces codes. Dans la culture coréenne en revanche, il semblerait que les cheveux représentent souvent une dimension sociale assez forte, ainsi qu’un lien à la violence et au pouvoir. Enfin, il semble exister chez les personnages coréens une corrélation marquée entre beauté de l’âme et beauté de la coiffure.

Les cheveux ont tout d’abord un rôle pratique. Par leur couleur ou leur coupe, ils sont un des moyens de différenciation des différents personnages d’un même film. Par exemple dans Les femme de mes amis de Hong Sangsoo (2009), le personnage principal est un réalisateur qui se rend à un festival de cinéma dans lequel il va rencontrer beaucoup de personnes différentes, et notamment des femmes. Pour faciliter l’assimilation et la compréhension du récit, chacune des femmes présentes à l’image a une coupe bien distincte et différenciable des autres. La même technique est utilisée dans Memories of Murder, film de Bong Joon-ho sorti en 2003, dans lequel les deux inspecteurs de police se distinguent aussi par les cheveux coupés à ras pour le premier, et la coupe au bol plus longue du second.

Cette différenciation peut sembler anodine mais elle marque pourtant une première différence avec le cinéma occidental. Dans le cinéma occidental, la distinction des personnages se joue beaucoup sur la couleur du cheveu, avec des symboliques propres à chaque couleur de cheveu. L’opposition classique est celle d’une brune et d’une blonde comme dans Les hommes préfèrent les blondes, Mulholland Drive, ou encore Thelma and Louise. En Corée, ce jeu de couleurs n’est pas possible car les cheveux sont la plupart du temps noirs, et exceptionnellement gris ou blancs pour les personnes âgées. De plus, la décoloration ou la teinture n’est pas très bien vue car elle est signe d’irrespect social, de volonté de désobéissance aux règles. 

Filmer les cheveux noirs est un travail différent que de filmer des chevelures colorées, le noir absorbant la lumière et ne la renvoyant pas. Dans l’image, cela forme souvent une tache, un aplat, avec lequel il faut jouer. Un réalisateur peut s’en servir pour structurer l’image et accompagner le regard du spectateur. Dans 2 sœurs de Kim Jee-Won (2003), le noir des cheveux fait ressortir la pâleur des visages, le blanc des habits, le rouge du sang et des lèvres. Ce parti pris esthétique résonne d’autant plus que c’est un film d’horreur et d’angoisse. Le noir tranche avec les autres couleurs et les rend encore plus marquantes. 

Le noir peut aussi être utilisé comme cerne autour des visages. Cette démarcation fait contraster les visages anguleux à ceux aux traits plus ronds, plus doux. Dans ce même film, la belle-mère, qui est le personnage facteur de peur, a des traits droits, durs, tandis que les deux filles ont des visages beaucoup plus ronds qui soulignent leur jeunesse et leur inno-cence. On remarque cela aussi dans Mademoiselle de Park Chan Wook (2016). Dans ce film le réalisateur fait s’opposer deux femmes et deux hommes dans un jeu de manipulation et de pouvoir. Ces femmes, dans la société coréenne des années 30, sont contraintes d’obéir aux règles qu’on leur impose. Mademoiselle Hideko est contrainte de vivre sous la tutelle d’un oncle qu’elle hait et ne peut pas épouser qui elle veut. Et Sook-Hee, sa servante, a besoin de travailler pour survivre. Elles sont donc comme emprisonnées dans un monde régi par des hommes. La frontière homme-femme est renforcée par les choix esthétiques du réalisateur. Les cheveux très longs des deux femmes font ressortir l’ovale de leur visage ainsi que leurs traits féminins et fins. Au contraire, les coupes courtes des hommes accentuent leur côté masculin en faisant ressortir leur mâchoire et leurs traits anguleux.

Dans les films coréens, les cheveux, et surtout les coupes de cheveux, accompagnent et représentent l’arc des personnages. C’est par exemple le cas dans Printemps, été, automne, hiver …et printemps de Kim Ki Duk 1.

1 Attention pour les curieux, le paragraphe suivant va contenir quelques spoilers.

Le film raconte l’histoire d’un moine et de son disciple vivant en ermite. Leur crâne rasé indique, dans un premier temps, leur religion : le bouddhisme. Mais il marque aussi et surtout leur différence par rapport au monde extérieur. On sait immédiatement qu’ils ne répondent pas aux mêmes codes que nous, car si le cheveu recouvre de multiples significations, l’absence de cheveux interroge aussi et est même assez dérangeante quand elle n’est pas naturelle. Le film est découpé en 5 actes, un par saison. Le deuxième acte – l’été – est marqué par l’arrivée de deux femmes au temple. Ces femmes, qui viennent du monde extérieur, ont les cheveux mi-longs, ce qui souligne encore la différence avec les moines. A la fin de cet acte, le disciple décide de suivre l’une d’elles dans le monde extérieur. Durant le passage de l’été à l’automne, qui se déroule lors d’une ellipse, il commet un meurtre et décide de revenir au temple. Ce passage est marqué par un changement capillaire fort : quand il reviendra au temple, le disciple aura les cheveux longs et indisciplinés. Il est passé d’adolescent innocent à adulte cri-minel. Il va, à partir de là, vouloir se repentir. Pris de remords, il s’impose une tonsure aux ciseaux extrêmement violente : c’est la première étape de sa rédemption. A la fin du film, il nous réapparait plus apaisé et retrouve sa coupe de cheveux première.

La chevelure, si elle est démonstrative de l’arc du personnage, permet aussi de mieux le situer socialement et de refléter son âme. Ainsi les coupes de cheveux indisciplinés sont souvent associées à des personnages en marge de la société : exclus, hors la loi… On le remarque très nettement dans Old Boy de Park Chan-Wook, la touffe de cheveux emmêlés mais séparés par une raie nette au milieu du crâne d’Oh Dae Soo souligne toute la folie et l’instabilité du personnage.

A l’inverse, dans Le chant de la fidèle Chunyang d’Im Kwon-Taek, le personnage principal Mongryong a de très beaux cheveux longs et noirs, brillants et tressés. Ils montrent d’abord sa position sociale de noble, les personnages du peuple ayant des coupes plus courtes et ordinaires, mais aussi la noblesse de son cœur pur. Chunyang, la fille dont il tombe amoureux, a exactement la même coupe de cheveux. À l’inverse du gouverneur, son antagoniste dans le film, qui asservit la population locale et veut s’em-parer de Chunyang : lui a des cheveux rêches, gris et secs. Au milieu du film, Chunyang refuse de céder aux avances du gouverneur et se fait alors traîner hors de chez lui par les cheveux. Comme si elle n’était plus digne de ses attributs physique, d’autant qu’elle est fille de courtisane et donc non-noble.

Chez Park Chan-Wook , dans Mademoiselle et dans Thirst, le cheveu est synonyme de désir interdit. Dans Mademoiselle, c’est l’attirance lesbienne qui est représentée dans une société où elle n’est pas acceptée. Le réalisateur expose ce désir non-dit grâce à de nombreuses scènes de coiffures, de bain ou d’habillement. Dans une scène en particulier, Mademoiselle Hideko, en train de se laver, signale qu’elle a mal à une joue. Sa servant lui passe de la pommade. La scène est initialement une scène de manipulation filmée en plan large. Progressivement les gros plans se succèdent, montrant l’émergence du désir, notamment par la remise en place des cheveux derrière les oreilles ou des détails de mèches mouillées. Les cheveux, par leur côté indomptable, sont dans ce film les représentations de l’imprévu, d’un désir qui n’était pas voulu initialement.

Dans Thirst, librement inspiré de Thérèse Raquin, un prêtre est transformé en vampire et doit faire face à des pulsions sexuelles auxquelles il ne s’attendait pas. La première apparition de son désir est synthétisée en un seul visuel : un gros plan ralenti des pe-tits cheveux trempés de sueur sur la joue d’une jeune fille. Ici, c’est le langage corporel du désir qui parle et qui va finir par posséder totalement le personnage. En effet il cédera à la tentation avec une femme du nom de Tae-Ju qui l’incitera à tuer son mari. À partir de ce moment-là, les deux amants vont commettre une série de meurtres de plus en plus dénués de sens. Un désir meurtrier va donc se mettre en place au milieu du film et notamment chez le personnage de Tae-Ju. Celle-ci détachera ses cheveux à chaque fois qu’elle aura une envie de meurtre. C’est une action qui est tout de même répétée trois fois dans le film et qui semble évoquer la libération d’un côté plus sauvage, inavouable du personnage ainsi que sa prise de pouvoir par rapport aux autres. D’autant qu’elle était très mé-prisée et exploitée par ceux qu’elle finira par assassiner. L’action de se détacher les cheveux montre donc l’acceptation par elle de son désir et sa décision de le réaliser.

Au final, ce qui paraît le plus spécifique à la cheve-lure dans le cinéma coréen est surtout son reflet de l’état moral du personnage et de l’éthique qu’il s’impose. Le respect des règles semble être d’ailleurs une valeur dominante dans la société coréenne. Cela explique aussi l’attirance que nous avons pour ce cinéma qui nous sort de notre zone de confort en nous ouvrant vers la rencontre de l’autre, de sa culture, et de sa façon de penser.

Charline CAILLEAUD 30 avril, 2019
Charline CAILLEAUD 30 avril, 2019
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Cinéma coréen : une industrie sous influence ?