Pourquoi les années 70 sont-elles le théâtre d’une résurgence du film de vampire queer ?
Les films de vampire ont toujours été un genre très présent dans l’histoire du cinéma, notamment par les nombreuses adaptations du roman Dracula. Ils ont souvent été associés aux personnes marginalisées, et notamment à une forme d’identité queer. Cela remonte encore une fois à Dracula. Mais aussi et surtout à Carmilla, nouvelle de Joseph Sheridan parue en 1872, dans laquelle une femme vampire ensorcèle les jeunes filles du voisinage pour boire leur sang, une fois celles-ci sous son charme. Ce sont alors la chute du code Hays (code d’autocensure hollywoodien) en 1968, des assouplissements de règles de censure, ainsi que l’entrée de l’érotisme dans le cinéma B dans les années 70 qui forment le terreau fertile pour le genre du film de vampire lesbien. Au cours de la décennie, le genre du film de vampire lesbien a pris de nombreuses formes. Pour examiner cela, nous allons explorer les thèmes qui entourent les films les plus marquants du genre, en observant d’abord comment ces films peuvent être lus comme une réponse conservatrice envers la libération sexuelle. Ensuite, nous verrons que ces films érotiques sont parfois le théâtre de vraies expérimentations esthétiques, voire quelquefois féministes. Enfin, nous verrons comment un certain film subvertit ces thèmes pour tenter d’amener un message plus nuancé, et sortir de la série B érotique.
LES FILMS MENTIONNÉS :
Les prédateurs (The Hunger), 1983, Tony Scott
Les Passions des vampires (The Vampire Lovers), 1970, Roy Ward Baker
Les lèvres rouges (Daughters of Darkness), 1971, Harry Kümel
Le Frisson des vampires, 1971, Jean Rolin
Vampyros Lesbos (Las Vampiras), 1971, Jesús Franco
LA RÉPRESSION ET RÉACTION DES FILMS CONSERVATEURS
Le film The Vampire Lovers se centre sur une vampire faisant des ravages dans un petit village, séduisant toutes les femmes et les vidant de leur force vitale. C’est une adaptation plutôt fidèle du roman Carmilla mentionné ci-dessus. Ce film des studios Hammer se focalise plus sur la chasse des vampires que sur le désir lesbien (bien que celui-ci soit très présent à l’image, il est réduit à des scènes de sexe). À l’image de sa trame narrative, ce film est, je trouve, à l’image d’une certaine réaction de la chrétienté et de l’ancienne génération : vouloir chasser le désir lesbien vu comme une corruption des femmes et enfants. Ici, le but final est un retour à l’ordre patriarcal, malgré les touches d’érotisme du film. Cependant, l’héritage de ce film est plus ambivalent que cela, surtout quand on le rattache au contexte culturel de la production. La Hammer, déjà spécialisée dans la production de films horrifiques, devait trouver un moyen de se renouveler après une crise financière dans les années 70. Elle décide donc d’adapter la nouvelle Carmilla, mais de manière beaucoup plus explicite que précédemment. Malgré les premiers refus des censeurs, ceux-ci cèdent face à la pression du studio et le film finit par contribuer à populariser le vampire comme ouvertement figure du lesbianisme, à la place de le maintenir en sous-entendu. De plus, cette bataille avec les censeurs permettra une relaxe des standards et donc la popularisation d’autres films comme Vampyros Lesbos de Jesús Franco, poussant les représentations queer à l’écran. Celles-ci gagnent une véritable popularité pour une certaine branche de la cinéphilie, même si leurs messages restent douteux. Le genre se popularise jusqu’en France où Jean Rolin, producteur et réalisateur de nombreux films érotiques de monstre (parfois pornographiques), contribue lui aussi à mettre sa pierre à l’édifice en réalisant une dizaine de films sur ce thème en quelques années, dont le plus célèbre est Le Frisson des vampires de 1971.
EXPLORATION ESTHÉTIQUE ET ÉMERGENCE FÉMINISTE QUEER
Dans les années 70, on retrouve dans les films de série B de vampire, même dans ceux tendant le plus vers l’érotisme, un goût de l’expérimentation esthétique et narrative. La figure trouble du vampire se prête particulièrement à cette expérimentation, mêlant rêve, érotisme et une certaine forme de désir queer. Ces films ont souvent un regard assez bienveillant sur les relations queer, bien que les fins tragiques soient une constante du genre. Loin d’être parfait, mais possédant une ambiance éthérée et charmante (rappelant par instant La Chute de la maison Usher en technicolor), Les lèvres rouges, avec Delphine Seyrig dans le rôle-titre, est un très bon exemple de cette catégorie. Ce film d’Harry Kümel relate le week-end d’un jeune couple séjournant dans un luxueux hôtel, habité uniquement par la comtesse Bathory et sa servante qui hantent les lieux. Ce sont avant tout les couleurs vives et la lumière qui rendent ce film particulièrement envoûtant. Il se met à l’image de la tentation du vampire : une femme sortie d’un rêve. Le film, cependant, possède des scènes de gore, comme lorsque le rouge du sang se mêle aux lèvres de la comtesse au moment où les deux femmes décident d’éliminer l’homme qui s’interpose entre elles. Ici, pas de répression patriarcale en conclusion, mais une forme de libération sexuelle et romantique de l’héroïne. Ce film est une balance étrange entre l’humour qui se dégage de ce surplus d’effet et une ambiance réellement envoûtante émanant de ces deux femmes partageant un rêve fiévreux de passion.
L’AMOUR VAINCRA, OU LE FILM QUI CONCLUT LES ANNÉES 70
À la sortie des années 70, un film va se démarquer comme le film de vampire saphique et va clôturer la décennie en reprenant tous les codes tout en apportant une nouvelle dimension au genre. Les Prédateurs, avec Suzanne Sarandon et Catherine Deneuve dans les rôles des vampires, est sûrement le film le plus connu et emblématique parmi ceux mentionnés (et est probablement celui qui a le mieux vieilli). Ce film représente non seulement l’esthétique naissante du mouvement gothique (intégrant la musique du groupe Bauhaus), mais aussi celle des thématiques romantiques normalement absentes de bien des films de vampire jusque-là. Ici, le vampire est certes un personnage tragique, mais il est avant tout en quête d’un amour qui le détruira. Les Prédateurs se centrent sur une scientifique, Sarah Roberts, qui est à la recherche de l’immortalité et qui rencontre lors d’une consultation une femme mystérieuse, dont le mari vieillit improbablement vite. Les deux femmes entament alors une relation suite à la mort de celui-ci, mais Sarah découvre vite la vérité sur le sort des précédents amants l’ayant côtoyée. Ce film est une vraie exploration de l’amour et de la romance. Bien que les thèmes queer ne soient pas toujours au premier plan, la relation de ces deux femmes reste le sujet principal. Ici, on ne trouve pas vraiment de scènes de sexe lesbien érotisées par la lumière des bougies, mais des questions sur l’amour telles que celles-ci : qu’est-ce qu’aimer quand on est immortel ? L’amour peut-il rester à jamais ?
Tous ces films, bien que très différents, se ressemblent en de nombreux points. En effet, le vampire n’est jamais vraiment une figure positive, mais toujours une figure queer. Souvent, les jeunes femmes qui se laissent attirer par son charme sont montrées comme innocentes. Le meurtre du mari est aussi un point qui revient souvent, ce dernier présenté comme ultime obstacle à la relation. Même s’ils ne sont pas parfaits, je pense qu’il y a un réel intérêt à jeter un œil sur ces films à l’ambiance si particulière remplie de bougies, de draps flottants, de brume, de couleurs saturées, et empreints d’un regard sur les relations queer propre à leur époque.