Portrait : Louise MOLLIER-SABET

Louise est une photographe originaire de Saint-Denis, auto-entrepreneure de 23 ans, elle couvre de nombreux évènements culturels comme des concerts, elle réalise des photographies de commandes pour des particuliers et des entreprises… Mais à côté de tout cela elle réalise des portraits artistiques qui nous font découvrir son univers, féministe, queer, coloré.


Quel est ton parcours ?

C’est dur parce qu’on sait pas où commencer, mais en gros j’ai fait un bac ES, un parcours scolaire assez chaotique on va pas se mentir. J’ai adoré les cours jusqu’à la fin du collège et après j’ai trouvé ça ennuyant au possible. Je suis hy-peractive je ne peux pas rester en cours plus de deux minutes. Du coup, je suis partie en Fac de théâtre et cinéma parce que j’ai été refusée dans tous les BTS audiovisuels. Parce que c’est hyper sélectif et hyper élitiste. J’ai fait par dépit une fac de ciné et théâtre alors que je savais que je pouvais pas rester assise en cours. ça m’a déprimé parce que je savais que c’était ce que je voulais faire mais pas de la manière que je voulais. Je n’avais même pas de mauvaises notes mais je me suis retrouvée à me sentir vraiment nulle alors que c’était ma passion. J’ai complètement décroché en plein milieu, la seule chose que j’aimais à la fac c’était le militantisme et toutes les rencontres que j’ai faites autour. J’ai fait plein d’activités comme le théâtre et c’était ça qui me plaisait à la fac, la pluralité, les rencontres, les arts… J’ai tout arrêté juste avant le covid et ce fut une grosse remise en question “voilà j’ai vingt ans et pas de diplôme qu’est ce que je vais faire de ma vie”. Je savais depuis toujours que je voulais faire de la photo et de la vidéo mais je ne savais pas encore comment. Je quitte ma fac, je n’ai rien, et c’est le covid. 

A côté de ça je faisais de la photo depuis le lycée, mon père avait un appareil et je le faisais avec ma sœur qui est photographe aussi. Ensuite c’est avec ma meilleure amie qu’on a commencé à se prendre en photos l’une et l’autre du-rant tout le lycée. C’est comme ça que j’ai commencé les portraits artistiques, c’était avec elle. Elle adorait tout ce qui était couleurs, paillettes. Après son décès, j’ai continué à faire briller mes photos avec des paillettes de partout, c’est ma façon de continuer à la célébrer. Pendant le confinement je me suis arrêtée, posée, qu’est ce qu’on fait ? Commencer les choses une par une et les faire à notre sauce puisqu’on arrive pas à suivre des sauces toutes faites. Je me suis dit que je me mettais à la photo à plein temps et j’ai exploré ce que je savais faire. J’ai repris un peu les bases et je me suis remise à faire beaucoup de portraits artistiques toute seule dans ma chambre. j’ai fait des défis pendant le confinement que je publiais sur les réseaux. J’étais dans une asso d’évène-mentiel (Me-Tech Prod) et j’ai commencé à faire plein d’interviews, à filmer, photographier… Puis en arrivant à Lyon j’ai lancé mon auto-entreprise en photos et vidéos.


Qu’est-ce qui t’a aidé à composer ton univers ?

Avec mon amie on allait toujours à Paris dans un magasin de tissus immense à Montmartre. Il y a des tissus discos, mille couleurs, sur cinq étages. ça nous a appris à voir les différentes matières à exploiter. 

Mon univers c’est un mélange de hippie, de punk et de disco. C’est coloré, brillant… C’est un peu de tout. Je suis quelqu’un d’assez curieuse, je n’aime pas qu’un truc. Par exemple j’écoute autant de la pop que du reggae que de la soul, du rock, du rap… J’adore prendre dans chaque univers et mélanger. J’adore les arc-en-ciel. *rire*

Mes parents me lisaient beaucoup d’histoires, j’en écrivais beaucoup plus jeune, c’était ma première passion. Ensuite ça a été le dessin parce que c’était ce que je pouvais faire chez moi, puis la photographie quand j’ai eu un appareil, puis la vidéo quand j’ai vu qu’on pouvait mettre rec sur un appareil… En fait j’adore les histoires et mon but de métier c’est de raconter des histoires. Chaque médium me permet de les raconter différemment.


 Chaque portrait c’est un personnage ? Une histoire ?

C’est plutôt des moods, des ambiances où je n’écrirais pas l’histoire du personnage. C’est plutôt en vidéo où je m’attache aux histoires réelles - plutôt au documentaire du coup -. Les clips, ce serait plutôt de la fiction. La photographie serait plutôt liée à une ambiance, qui te parle sans te parler et que tu peux interpréter de beaucoup de manières. Comme si je ressentais un truc sans comprendre pourquoi. 

J’avais envie de montrer un personnage seins nus. Le but c’était que ce soit une femme seins nus mais que l’on se rende pas compte qu’elle l’est, dans le sens que l’on ne s’attarde pas là dessus parce que souvent c’est très sexualisé, très douce, la femme très mignonne. Alors que là je voulais montrer une forme de puissance, tu vois une femme seins nus mais c’est juste un torse. Le torse de quelqu’un de fort. C’est un visage en souffrance, comme si elle voulait sortir de cette image, sortir de la douceur et qui garde cette vulnérabilité sur son visage. Prendre les attraits de la féminité qui sont mal vus (fragilité…) et en faire quelque chose de puissant.


 Quel est ton regard de photographe ? J’y vois du féminisme, du queer, et surtout une envie de jouer avec les codes anciens tout en en créant des nouveaux.

J’ai toujours voulu faire de l’image et j’ai toujours eu peur de ce que je pouvais trans-mettre. On a jamais des images parfaites, j’ai un male gaze comme tout le monde même si je suis une femme car j’ai vu des codes que je reproduis inconsciemment parfois. Des choses que je montre mal, que je fais mal, comme dans la lutte anti-raciste, la grosso-phobie, retoucher la peau ou non… J’essaie de remettre en question mon regard tout le temps et par exemple ce qui me touche le plus au quotidien c’est le sexisme. Je subis ça tout le temps et du coup je me suis demandée comment faire que dans mes images je sois pas sexiste. J’ai réfléchi à ma manière de représenter les femmes, mais j’ai aussi réfléchi à ma manière de représenter les hommes et que je devais représenter d’autres genres, non binaires etc… Je me suis dit que le féminisme c’était pas que les femmes. Le féminisme n’avancera pas notamment sans les hommes. Je voulais déconstruire l’image de la femmes et des personnes non binaires mais je trouve que c’est des gens qui se déconstruisent beaucoup et que les hommes ne le faisaient pas assez vite. Du coup au lieu de juste leur dire que ce n’est pas bien, je voulais les aider à les accompagner vers la déconstruction. J’ai commencé à demander à des potes mecs si je pouvais les prendre en photo avec du maquillage etc… Ils ont tous dit non. J’avais lancé un débat “pourquoi ne pas vouloir ?”. Et en en parlant ils se sont rendus compte qu’ils étaient beaucoup à vouloir faire ça mais qu’ils avaient peur. C’est aussi une réalité, un mec qui se balade avec du makeup dans la rue il sera direct catégorisé d’homosexuel (même si c’est pas une insulte) alors que ils devraient pouvoir performer le genre comme ils veulent cis ou pas, hétéros ou pas. 


Dans mes photos j’aimerais montrer une liberté, une ouverture, que n’importe peut s’ha-biller ou se maquiller et que cela ne remet absolument pas en cause leur vie. Tu peux mettre du makeup en étant un mec hétéro, une meuf lesbienne, une meuf masculine hétéro… Tout ça c’est pas relié. Et surtout représenter les gens qui sont pas montrés aussi. Parce que là je parle des mecs cis hétéros mais ça va ils ont une belle vie quand même. Je voulais montrer mes copines grosses et encore, j’en ai peu sur mon Instagram parce que la plupart veulent pas se montrer par peur du regard, et je comprends. Je voulais aussi montrer des personnes non-binaires parce qu’on ne les voit jamais. Je voulais montrer des personnes homosexuelles parce que c’est pas assez montré et peut être pas assez de manière puissante. En fait, je veux redonner de la puissance aux femmes et de la vulnérabilité aux mecs. Que tout le monde revienne sur un pied d’égalité en fait. Puis qu’on apprenne à se comprendre, le monde serait plus beau si tout le monde apprenait à se comprendre *rire*.


Pourquoi le portrait ?

Autant pour servir à s’intéresser à l’individu, mais autant égoïstement parce que j’adore le portrait et ses rencontres. J’adore rencontrer les gens et apprendre à retransmettre leur image, d’une façon fidèle. J’adapte mes moodboards à mes modèles dans le sens où j’essaie de montrer leur personnalité et en même temps le faire à ma sauce. Les portraits c’est vraiment parlant parce qu’on est des êtres humains et on a besoin de voir des êtres humains qui nous ressemblent. Du coup j’essaie de prendre des gens différents en photo, j’espère un jour avoir pris assez de gens en photos pour que tout le monde puisse s’y retrouver. Après pas que dans mes photos, je suis pas égocentrée, mais dans les repré-sentations qu’on voit dans la vie de tous les jours que tout le monde puisse se reconnaître dans un portrait. Les portraits me parlent et du coup je fais de l’art qui me parle et qui, j’espère, parlera à d’autres.

Photos prises par Louise Mollier-Sabet
Découvrez les modèles en plaçant votre curseur sur les photos

Emma Guardiola 31 décembre, 2022
Emma Guardiola 31 décembre, 2022
Partager ce poste
Archiver
Se connecter pour laisser un commentaire.

Julia Ducournau et la peur de grandir