Dans le film Babylon, actuellement en salle, Damien Chazelle fait un hommage au cinéma, notamment pendant la scène finale avec une succession d’images et de couleurs, réalisant une apothéose pour tous les amoureux du cinéma. En effet, le cinéma est d’abord, et avant tout, la contemplation d’une image, nous plongeant directement dans la vision du réalisateur. À sa manière, le cinéaste prend le pinceau et crée son propre mouvement pictural. Par ailleurs, certains cinéastes vont directement s’inspirer d’un peintre ou d’un mouvement issu de l’histoire de la peinture. On pourrait citer une multitude de cinéastes rappelant un rapport étroit entre la peinture et le cinéma. J’ai sélectionné ici quatre cinéastes que je considère comme peu connus par le grand public, et qui sont pourtant passionnants dans leurs rapports à la peinture.
Le premier réalisateur auquel on peut penser à propos de cette étroite relation avec la peinture est le cinéaste Jean Renoir. En effet, il est le fils du célèbre peintre impressionniste Auguste Renoir. Dans son métrage Une partie de Campagne, Jean Renoir rend hommage à son père avec la présence de nombreuses inspirations picturales. Dans ce film, il retrace la vie d’un commerçant parisien passant une journée à la campagne auprès de sa famille. La scène dans le jardin fait particulièrement écho au style pictural d’Auguste Renoir, en particulier le mouvement impressionniste : un cadre paisible, une famille réunie et, surtout, des personnages pleins de vie. Effet, dans le tableau La Balançoire, Renoir père représente également une réunion de famille avec une conversation entre un homme de dos et une femme en face, perchée sur une balançoire et entourée par d’autres potentiels membres de la famille. Le tableau donne l’impression au spectateur de surprendre une discussion, similaire à une photographie. En réalité, non seulement le fils Renoir s’inspire de son père, mais il aide aussi et complète l’analyse du tableau. La peinture et le cinéma deviennent alors deux médiums complémentaires, permettant de montrer des éléments qui, l’un comme l’autre, peuvent être mieux appréhendés.
Comme nous l’avons vu dans cette première partie, la peinture peut être source d’inspiration grâce à l’influence du milieu qui nous entoure. Aussi, certains cinéastes réalisent un hommage aux peintures qui les ont marqués, en le montrant à travers leur réalisation artistique. Que ce soit par un personnage, un objet ou même un lieu, les références peuvent être cachées ou bien au contraire, omniprésentes sur l’écran. Pour ce dernier critère, c’est le cas avec Jean-Luc Godard dans son film Passion, sorti en 1982. Cette œuvre est un retour à une cinématographique plus traditionnelle, par rapport à son film précédent, après la période d’expérimentation esthétique et politique des années 1970. La narration du film se structure entre deux plans représentés par l’intérieur et l’extérieur. En effet, les scènes d’intérieur présentent une certaine originalité : Godard reconstitue des tableaux vivants, ce qui place la scène à la frontière entre le cinéma et la peinture classique. Il s’inspire des plus grands noms de la peinture, notamment Rembrandt avec La Ronde de nuit. Les acteurs et le lieu du tournage sont plongés dans un cadre pictural : des corps mis en lumière, statiques et qui ne parlent pas. Seul un fond de musique donne une ambiance à l’image. Dans ce film, Godard devient ici le peintre-cinéaste qu’il a toujours voulu être.
Le troisième est surement moins connu que les deux précédents, pourtant il est l’un des représentants majeurs d’une esthétique imprégnée par la peinture : Peter Greenaway. Contrairement aux deux réalisateurs précédents, il a non seulement une formation dans le médium du cinéma mais aussi dans celui de la peinture. Son œuvre se décline en films, expositions et multimédias. Ses propres expositions influencent directement son travail cinématographique. Il est d’ailleurs connu pour son influence de la peinture baroque flamande. Dans son film Meurtre dans un jardin anglais, chaque scène semble être une toile. Dans cette réalisation, le réalisateur nous situe dans l’Angleterre de la fin du XVIIème siècle, avec une certaine Mrs Herbert qui demande à Mr Neville, un peintre-paysagiste réputé, de réaliser douze dessins du domaine de son mari. En échange, elle s’engage à ce que l’artiste puisse jouir de ses faveurs. Ce dernier accepte le marché. Cependant, il comprend trop tard qu’il a été utilisé pour servir à un tout autre but que la demande initiale. Au-delà d’une intrigue particulièrement bien ficelée, Greenaway réalise avec splendeur un « tableau-vivant». Par ailleurs, l’omniprésence d’un cadre peut être constatée, faisant un clin d’œil au médium de la peinture. La lumière, la couleur, le cadre, le champ de
perspective… Tous ces éléments sont minutieusement calculés par le réalisateur,
donnant un bijoux pictural à son œuvre.
Enfin jamais trois sans quatre, je souhaiterais citer la réalisatrice Agnès Varda, faisant partie des acteurs du monde cinématographique qui ont un attrait particulier pour la peinture. Tout comme Greenaway, Varda a une formation dans les beaux-Arts et s’est formée à l’école du Louvre. Imprégnée de cette formation en histoire de l’art, elle met cette influence au sein de ses films, en particulier dans Les Glaneurs et les Glaneuses. Tout en ayant une esthétique picturale propre à son image, Varda donne un ton social à son film avec la réalisation d’un documentaire sur les différents « glaneurs » vivants en France. Pour réaliser cette production, elle est partie d’un tableau, lui donnant l’inspiration pour cette création. En effet, elle filme au début de la trame le tableau Glaneuses à Chabaudoin de Pierre Hédouin, se trouvant dans les sous-sols du musée Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône (qui est à présent au musée d’Orsay). A partir de cette « simple » image, elle réalise l’entièreté du film qu’est le documentaire sur les « glaneurs ». Ainsi, le constat est clair : le cinéma s’imprègne des autres médiums artistiques, notamment la peinture. D’un réalisateur à l’autre, la peinture inspire en fonction de ses propres expériences, cultures, visions… Dans tous les cas, elle permet un enrichissement pour tout artiste qui souhaite s’en imprégner pour la création de son propre art. Évidemment, il ne faut pas se limiter à ce seul domaine de l’art, tout domaine artistique peut apporter quelque chose au cinéma. Finalement, les arts se complètent et s’entrecroisent, permettant de créer des chefs-d’œuvres cinématographiques, qui à leur tour, inspirent d’autres artistes.