Regarde le train passer
Trainspotting de Danny BOYLE

Avec une adolescence aux forts accents emo-geek-Harry Potterien, presque rien ne m’avait prédestinée à aimer Danny Boyle – voire à entendre parler de lui. Alors, force est de constater que cette rencontre relève d’un étonnent hasard, d’un surprenant détour.

Pour passer l’ennui entre deux visionnages de Twilight (2008) – adolescence emo vous ai-je dit – et de Lost in translation (1996), l’algorithme étant un peu perdu,  une occurrence étrange fit son apparition. Une bande-annonce de Trainspotting. Véritablement un OVNI. Un bug dans la matrice. Un film que j’ai encore aujourd’hui, six ans plus tard, du mal à décrire.

C’en est suivi la découverte de Danny Boyle, de 28 jours plus tard à Petits meurtres entre amis, en passant par Slumdog Millionnaire, et je n’ai jamais été déçue, même si avec du recul, je me rends compte que Trainspotting est sans doute la pire porte d’entrée pour apprécier sa filmographie. Immoral, psychédélique mais aussi onirique, il n’a pas l’accessibilité d’un Sunshine ou d’un Steve Jobs. Cependant, c’est ce cinéma de la transgression qui m’a marquée et c’est précisément celui-là que je m’efforcerai de transmettre modestement ici. Pourquoi Trainspotting est-il un grand film ? Et si je parle un peu de moi pour l’introduire, c’est parce que Danny Boyle dans tous ses films, a passé sa vie à parler de moi, des autres, de nous. 

Né en Grande-Bretagne, en 1956, Danny Boyle est issu de la working class et son origine influencera toute sa filmographie. Accroché à des thèmes sociaux-économiques, ses premiers films forment une trilogie sur le manque d’argent : Petits meurtres entre amis (1994), Trainspotting (1996) et Une vie moins ordinaire (1997). Mais vous le connaissez sans doute plus pour 28 jours plus tard (2001), Slumdog Millionnaire (2009) ou encore plus récemment pour Steve Jobs (2015). Mais – à mon sens – Trainspotting reste son plus grand film. Un classique perdu du cinéma britannique. Je n’ai pas l’impression qu’on en parle encore beaucoup, la plupart des gens que je côtoie n’en ont même jamais entendu parler. Et pourtant ils idolâtrent Ewan McGregor en Obi-Wan ou Jonny Lee Miller en Sherlock dans Elementary (2012). En fait de Trainspotting il ne reste peut-être que ça : des personnages qu’on a déjà vus quelque part mais dont on ne se souvient pas vraiment. 

Trainspotting, qu’est-ce que veut dire ? Trainspotter : celui qui regarde passer les trains. Les personnages ne cessent dans ce film de regarder les trains, regarder la société bien rangée, où tout est normal et qui ne veut pas d’eux, qui les laisse sur le quai. Ce n’est finalement pas plus compliqué que ça à résumer. L’histoire d’un groupe d’amis, au cœur d’Edimbourg, dans les années 1990 entre amour, amitié et drogue – surtout drogue d’ailleurs. Notre anti-héros, Mark Renton (Ewan McGregor) – celui par qui l’histoire nous est contée – marche sans cesse sur l’étroite frontière entre toxicomanie et personne respectable. A la fois un film social et un film de potes, nous suivons aussi sa bande : Sick Boy (Jonny Lee Miller) pour qui l’héroïne est un véritable amour ; Begbie (Robert Carlyle) en guerre contre la drogue mais qui passe son temps à déclencher des bagarres pour se défouler ; Spud (Ewen Bremner) le gentil du groupe. Renton ne cesse d’être pris en tenaille entre sa famille qui essaie de l’empêcher de sombrer, ses amis qui baignent dans l’héroïne et sa propre addiction. Une ode à la musique rock des années 1990, à une vision alternant entre surréalisme, onirisme et pourtant si ancrée dans le réel ou encore à la transgression de l’identité. 

Just a perfect day

Presque comme un personnage principal, la musique est une manière pour Danny Boyle de transmettre des idées sous une forme particulière. En effet, la place de la bande originale est largement relayée au second plan au profit de morceaux de rock des années 1990. Lust for Life de Iggy Pop, Atomic de Sleeper, Perfect Day de Lou Reed, New Order, Pixies, autant de morceaux pour qualifier cette histoire aux effluves transgressives, marginales et déviantes. Et quel meilleur style de musique que le rock pour cocher toutes ces cases ? Et, comme pour démontrer les liens nécessaires entre son et image, la musique passe son temps à illustrer les dialogues, expliquer le sens et parfois même voler la vedette. Lorsque Renton replonge dans l’héroïne et fait une overdose, il est ironiquement accompagné de Perfect Day de Lou Reed. Mais, de temps en temps, l’image reprend ses droits, notamment avec des clins d’oeil aux albums de Nirvana et des Beatles ou à tous les mécanismes des clips musicaux que sont les regards caméra, les alternances de plans calés sur le tempo des musiques.

Surréalisme ou réalisme ?

Danny Boyle alterne sans cesse entre une manière de filmer extrêmement neutre, qu’on pourrait qualifier de réelle. La vie banale de Renton lorsqu’il n’est pas sous l’effet de la drogue, la vie est si fade et je dirai même que Edimbourg y est bien laid. Cependant, dès que la drogue s’introduit dans le sang, le réalisme est balayé bien vite. Le montage est saccadé. Les événements loufoques s’enchaînent. Une des scènes les plus marquantes du film montre Renton qui récupère de la drogue sous forme de suppositoire, mais – victime de diarrhée – il se retrouve dans « les pires toilettes d’Ecosse ». Evidemment les suppositoires finissent dans la cuvette. S’ensuit un moment particulièrement repoussant où Renton plonge littéralement dans ses propres excréments pour les récupérer. Étrangement, il se retrouve dans une eau propre et lumineuse où les suppositoires sont des pierres précieuses. Il ressort des toilettes tout aussi propre – seulement mouillé (comme une renaissance ?).

Ou encore, lorsque Renton fait une overdose. Il s’enfonce dans le sol, creusant littéralement sa propre tombe. Il est remonté à la surface et traîné jusqu’à l’hôpital. 

Pourtant, le réel n’est jamais très loin. Danny Boyle ne loupe pas une occasion de rappeler les origines socio-économiques de ses personnages. Ils vivent dans des petits appartements, se droguent dans des taudis, doivent voler pour se droguer. La drogue est une échappatoire face à la réalité, bien plus dure et cruelle.

Tout est-il affaire de choix dans la vie ? 

Les personnages et leur addiction ne sont jamais jugés et moqués, que ce soit la drogue ou la violence. Tout simplement parce qu’il est clair que le film ne leur en tient pas rigueur. Ils y sont forcés. Le film s’ouvre sur Renton en pleine course poursuite avec une voix off qui dit : 

« Choose life, choose a job, choose a career, choose a family, choose a fucking bug television, choose washing machines, cars, compact disc players and electrical tin openers. »

Ironiquement, choisir American way of life, choisir la société de consommation. Et Renton, comme ses autres amis, ne choisira jamais la vie, mais presque toujours l’héroïne. 
Le film ne critique d’ailleurs jamais ce choix pour la simple et bonne raison que ce n’est pas un choix. Nous ne choisissons pas. Nous ne choisissons ni notre naissance ni nos trajectoires de vie. La vie n’est pas affaire de volonté, mais une simple affaire de dé. Danny Boyle nous le montre dès le début lorsque Renton « décide » de se sevrer en appliquant la technique de Sick Boy :

« Relinquishing junk. Stage one : preperation.
For this, you will need one room which you will not leave.
Soothing music. Tomato soup, ten tins of. Mushroom
soup, eight tins of, for consumption cold.
[…]
One bucket for urine, one for feces and one for vomitus »

Il ne tiendra pas dix minutes avant de forcer sa porte et chercher une dose. Toutes ses autres tentatives ne tiendront jamais très longtemps non plus. Cette méthode reposant sur la force de la volonté se révèle être une illusion. Le choix est une illusion. Peu importe combien Renton essayera de s’éloigner de la drogue – et il ira jusqu’à quitter ses amis – il sera toujours rattrapé : ses amis le retrouvent et l’entraînent dans un braquage.

Violences

Habitué dans sa filmographie à filmer le glauque jusqu’à l’absurde parfois, Boyle n’a pas mis Trainspotting sur le bas-côté. Les actions des personnages sont violentes. Begbie passe son temps à provoquer des bagarres où le sang coule à flot et ce juste parce qu’il aime ça. Se battre lui fait plaisir et il ne prend pas d’héroïne. La drogue n’a pas le monopole de la violence. Malgré tout, l’image la plus choquante reste la mort du bébé d’Allison (une amie du groupe) pour cause de négligence alors qu’ils étaient tous drogués. L’irresponsabilité des personnages mène à la mort de l’innocence même. L’image horrifique hantera Renton pendant un sevrage. Mais même cet horrible événement ne les convainc pas de raccrocher. Cette violence fait partie intégrante de leur identité.

Miroir, mon beau miroir.

Trainspotting est un miroir de notre identité. Lorsque Danny Boyle nous montre Renton, déviant d’un point de vue moral, il nous tend un miroir. Nous nous construisons précisément en opposition à ce que nous ne sommes pas, à ce que nous ne voulons pas être. Renton est toxicomane, dangereux, désespéré. Et nous ne voulons pas être toxicomane, dangereux et désespéré. Mais Boyle ne juge pas comme le spectateur juge. Il nous montre justement en quoi Renton n’est pas un objet fixe. Il n’est pas toujours déviant. Il évolue. Tout comme nous. Ainsi, la plus grande scène de transition se trouve être celle des toilettes. Voilà l’horreur, la déviance que nous ne voulons pas être. Il plonge et entre dans un monde aquatique fantasmé. Il n’exclut pas cette part sombre et immoral de lui-même, il l’accepte – littéralement – se jette dedans. Et si nous voulions aller encore plus loin, il doit plonger la tête la première dans ses propres déchets pour rencontrer qui il est vraiment. Danny Boyle nous dit que nous sommes le résultat d’une identité multiple, dynamique et incertaine, que l’immoral et le moral se mélangent en chacun de nous.

Je pourrai parler d’innombrable autres thèmes abordés dans Trainspotting. L’oppression de la communauté que subit continuellement Renton. « L’enfer c’est les autres », nous disait Sartre il ne croyait pas si bien dire dans notre cas. Ce sont les autres qui font replonger Renton. Ou encore, je pourrai parler de l’identité nationale évoquée par le biais de l’Ecosse. L’injustice de la vie. Mais, il faut bien que je laisse un peu de surprise à ceux d’entre vous qui se laisseraient tenter par ce voyage.

Trainspotting est un grand film et Danny Boyle un grand réalisateur et j’ai mis six ans à m’en rendre réellement compte. J’espère qu’il vous faudra moins longtemps pour aimer regarder passer les trains

Clara BAVAZZANO 31 janvier, 2022
Clara BAVAZZANO 31 janvier, 2022
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