Regards croisés sur l’auto- production
premier entretien

L’auto-production, ou le financement et la gestion de la création et la diffusion d’un objet cinématographique par ses propres moyens ou ceux d’un groupe de personnes, caractérise la grande majorité des productions étudiantes. Il s’agit souvent d’un choix par dépit qui en décourage certain.e.s face à l’hégémonie technique qui sévit dans le monde cinématographique. Dans l’espoir de donner un horizon plus large à cette problématique, Ikkons vous propose deux entretiens sur l’auto-production, le premier avec Stéphane Roche, producteur, qui propose quelques clefs pour sortir de l’auto-production, et le deuxième avec Yannis Youlountas, cinéaste libertaire et anti-fasciste, qui attache une réflexion idéologique à cette pratique.

Bonjour, pourrais-tu te présenter, ainsi que l’activité de ta société de production ?

Je suis Stéphane Roche, producteur chez arts films, une société de production de fiction créée en 2008 qui a produit une douzaine de court-métrages. Depuis cette année, Tiffany Vernet s’est associée à l’entreprise pour produire des documentaires. Je n’ai pas exactement de ligne éditoriale vis à vis des projets que je choisis de produire en ce qui concerne la fiction, s’il faut en définir une, j’apprécie les histoires qui partent d’une situation réel et virent au fantastique, ou inversement, des histoires qui s’ancrent dans un contexte fantastique pour revenir à quelque chose de plus réaliste. Par exemple un film de genre peut parler de quelque chose de tout à fait grave et contemporain.

As-tu vu des films auto-produits récemment ?
J’en vois régulièrement sur internet, dans des festivals, ou alors ils accompagnent les scénarios qu’on m’envoie. Ils sont tous très différents, je pense qu’on peut distinguer plusieurs types de films auto-produits : il y a ceux réalisés par des gens qui ne veulent pas forcément faire du cinéma leur métier, comme des lycéen.e.s, des étudiant.e.s ; des films auto-produits par des étudiants en cinéma qui finissent leurs études ou qui les réalisent dans le cadre de leurs études. Et puis il y a des films auto-produits par des gens déjà un peu professionnels mais qui veulent se faire la main sans passer par la complexité et la longueur de la production. Produire un film, court ou long, prend souvent deux à trois ans, voir plus pour les long-métrages qui nécessitent parfois un temps d’écriture plus important.


Quels sont les défauts que tu trouves récurrents chez les court-métrages auto-produits que tu as pu visionner ?

Le manque de recul sur les films. Les personnes qui font des films auto-produits font ça avec leur énergie, leur bonne volonté, celle des gens qui les accompagnent et souvent il est encore plus difficile pour eux de se détacher de l’affectif et reconnaître d’éventuels défauts de forme et/ou de fond. C’est là où le travail du producteur est important car il n’a pas ce rapport affectif à un projet. Il est difficile de pointer des défauts plus que d’autres, mais il arrive souvent qu’on en ait trop mis, gardé des choses inutiles, fait des choix radicaux. Le manque de moyens techniques ou humains est lié à l’auto-production mais ce n’est pas sur ça que je jugerai un film auto-produit.

La majorité des étudiant.e.s qui lisent la revue sont à l’université, une formation très peu chère par comparaison avec des écoles privées, où il y a peu de pratique et beaucoup de théorie, avec des cours très instructifs mais beaucoup d’entre eux.elles n’aspirent pas à faire de la recherche, mais plutôt à travailler dans la médiation, la distribution, la production par exemple. Il y en a également qui veulent devenir technicien.ne.s, qu’est-ce que tu leur conseillerais ?

C’est un peu compliqué car pour devenir technicien le BTS audiovisuel est à privilégier, bien qu’il ne mène pas tout le temps au cinéma. Les écoles privées forment des techniciens également. Si quelqu’un commence à toucher à la technique dans le cadre de l’auto-production, pour faire ensuite un stage sur un tournage pro, il faut faire attention à ne pas prendre de mauvaise habitudes. Les tournages de cinéma sont très codifiés : chacun.e à sa place et ses tâches. Les métiers techniques sont très pointus, ce qui demande des apprentissages très importants. Ce qui explique le fait que pendant longtemps, beaucoup de technicien.ne.s étaient des autodidactes qui apprenaient petit à petit en gravissant l’échelle des postes. Aujourd’hui ça reste pareil, mais vis à vis de ça, le problème avec l’auto-production c’est qu’on est tout de suite chef de poste sans avoir appris les bases. Ça peut être un frein car il faudra désapprendre beaucoup de choses, mais cela peut également aider et déclencher des vocations.

En France, on a la chance d’avoir le plus grand nombre de producteur.trice.s et de films réalisés en Europe. Contrairement à d’autres pays comme l’Angleterre et l’Italie qui ont de petits milieux professionnels, nous en avons un bien plus important, ce qui fait que la pratique amateur en France n’est pas la même ici qu’ailleurs.

Quelle est la différence ?

Avant le numérique, les gens qui faisaient des films amateurs n’avaient pas l’ambition de faire autre chose qu’un petit film pour s’amuser. Aujourd’hui, les subventions se réduisent et le nombre de film qui seront faits se réduisent et je pense que les gouvernant.e.s poussent pour que le système se concentre plus. On risque de perdre tout le vivier de Cinéma qui existe en France. Dans cette optique, les grandes régions ont créé des écoles de cinéma qui désignent quelques élu.e.s.

Quid des gens à la fac ?

Elle n’a pas été choisie comme lieu de création cinématographique, c’est vraiment des choix politiques qui ont été fait.

Tu nous as donné des conseils à destination des gens souhaitant devenir technicien. ne.s, que pourrais-tu conseiller à des étudiant.e.s qui aspirent devenir auteur. trice.s, réalisateur.trice.s ? Comment sortir de l’auto-production et que faire pour que son projet intéresse un producteur ? Faire de l’auto-production c’est très bien dans ce contexte car cela permet de montrer quelque chose à un.e producteur. trice quand on lui présente son projet. Faire un ou deux films en auto-production, après ou pendant ses études, ce n’est pas une mauvaise chose avant de vouloir écrire et réaliser dans un cadre professionnel. Toutefois à partir d’une dizaine de films il faut s’interroger sur l’intérêt que l’on trouve à continuer dans l’auto-production, sachant qu’un film auto-produit aura du mal à aller en festival et n’a quasiment aucune chance d’être acheté par une chaîne.

Je conseillerais bien évidemment à un.e jeune auteur.trice-réalisateur.trice de se pencher très sérieusement sur son scénario en premier lieu, car c’est là-dessus qu’un producteur décide de s’engager. La rencontre entre les deux est également très importante. La production c’est de l’humain, Il faut que les deux partis se fassent confiance car on va travailler à fond le scénario. Ce dernier est forcément le bébé de l’auteur.trice, réalisateur.trice et il faut accepter que quelqu’un d’autre rentre dans l’éducation du bébé. Beaucoup d’acheteur.euse.s de chaînes parlent du couple "producteur.trice-réalisateur.trice". Un.e producteur.trice est dans le conseil avant d’être dans le financement. Il arrive qu’il faille prendre des décisions à propos du scénario, cela se fait dans la plupart des cas d’un commun accord. Il peut arriver qu’il y ait des décisions difficiles, le.la producteur.trice a souvent la décision finale et l’auteur.trice réalisateur.trice devra lui faire confiance. Mais ça marche également dans l’autre sens.

Reste que la personne chargée de la production a moins d’affect et plus de recul sur la production cinématographique en général.

Quelles structures pourrais-tu conseiller de contacter avant d’envoyer un scénario à une société de production

À Lyon il y a L’’Accroche Scénariste, en France il y a aussi La Maison des Scénaristes, la Guilde Française des Scénaristes et plein d’autres structures comme celles-ci existent. L’avantage de l’Accroche, c’est qu’elle est accessible au niveau local : il y a des réunions régulières où les gens se voient en vrai, plutôt que par Skype ou par mail. L’avantage des structures comme La maison des scénaristes c’est qu’elle est nationale et possède des entrées dans des festivals comme celui de Clermont. Tous les ans, il y a des séances de pitch avec des auteur.trice.s qu’ils ont sélectionné parmi leurs adhérents et les producteur.trice.s y sont très attentif.ves.

Faisons le bilan, qu’il y a t-il à prendre, qu’il y a-t-il à jeter avec l’auto-production ?

Quand on veut faire des films il faut se lancer et c’est un très bon moyen ! Il faut éviter de faire ça sans ambitions, parce qu’un film reste. Il finira à un moment ou un autre sur internet et quand on tapera votre nom sur internet, on le trouvera. L’idée c’est de le faire sérieusement. Il faut y mettre sa passion, ses rêves et montrer qu’il y a vraiment eu du travail.

Une conclusion ?

A Lyon il y a trois écoles privées : l’ARFIS, Ciné-créatis, la Factory et une publique, la CinéFabrique. Leurs étudiant.e.s montent souvent des projets de court-métrages et ce serait très intéressant de se mêler aux équipes de ces films. Il faut que quelque chose se crée entre les écoles à Lyon, ce qui manque actuellement. Les étudiant.e.s des écoles ont tout intérêt à rencontrer ceux de la fac et vice-versa.

Juliette MOINET-MARILLAUD 31 octobre, 2018
Juliette MOINET-MARILLAUD 31 octobre, 2018
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