Téhéran Tabou
Ali SOOZANDEH

Une mère donne un chewing-gum à son petit garçon avant de le laisser seul un instant, pour s’occuper de son nouveau client. Sans dire un mot, il va jouer. Comme souvent, le regard de l’enfant se tourne vers les cerfs-volants qui flottent au-dessus de Téhéran. Dans cet accord tacite entre la mère et l’enfant, subi et accepté, se laisse lire plus finement ce que le film aborde de façon très frontale, incisive et insistante : la façon dont les interdits édifiés par la société islamique iranienne contraignent les gens à vivre comme des pécheurs et les engluent ainsi dans la contradiction. 

A travers le récit croisé des vies de trois femmes (une mère prostituée, une épouse voulant avorter, une jeune fiancée qui perd sa virginité avant le mariage) concentrant les rebondissements, s’impose un portrait corrosif et surréel de cette société où les tabous (sexe, drogue, corruption) ne sont que façade. Recourant à l’animation pour des raisons de censure, le cinéaste exilé en Allemagne parvient à s’emparer de son médium pour attaquer cette façade, la ronger à l’acide et nous donner à voir ce qu’elle voudrait recouvrir. Il en résulte des images de Téhéran non pas virtuelles, éloignées et détachées du réel, mais mordantes comme des eaux-fortes, des images dépravées qui renversent les représentations établies, tordent le cou aux faux-semblants et notre regard de spectateur. Sans misérabilisme ni atermoiement, mais avec une insolence cynique qui porte à son comble le constat funeste d’un monde sans issue, coincé entre une loi et une praxis op-posées, entre le bitume et un ciel presque hors d’atteinte.

Dessin Nina Kormann

Nina KORMANN 30 novembre, 2017
Nina KORMANN 30 novembre, 2017
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