A l’occasion du Festival Lumière 2022, Tim Burton a été l’invité d’honneur et le lauréat du Prix Lumière. Pendant les festivi-tés, le public a eu l’occasion de revoir l’ensemble de la filmographie du réalisateur, notamment pendant la nuit Burtonienne du 22 octobre.
L’ensemble de ses œuvres sont connues par le grand public, mais Ed Wood se fait discret, sor-ti après le succès de Edward aux mains d’argent ou encore l’Etrange Noel de monsieur Jack. Film difficilement trouvable sur les plateformes de streaming, il est pourtant une œuvre fidèle à la vision Burton. En effet, en 1994, il lance le pro-jet de raconter la vie mouvementée d’un étrange individu : Edward Davis Wood Junior, réalisa-teur affublé de façon posthume du titre de « plus mauvais réalisateur de tous les temps ». Burton fait appel à son acteur fétiche, Johnny Depp, pour incarner le rôle du réalisateur maudit par Hollywood. Le choix de produire une biogra-phie semble ironique ; Burton est adulé dans le monde du cinéma tandis que Wood est dénigré durant la majorité de sa carrière artistique.
L’année 1952, Ed Wood veut conquérir Hol-lywood, ce dernier étant déjà un empire dans le monde du cinéma. Il rencontre le producteur Georgie Weiss qui cherche à réaliser un film inspiré de l’histoire de Christine Jorgensen, pre-mière personne mondialement connue d’une chirurgie de réattribution sexuelle d’homme vers femme dans les années 50. Wood persuade Weiss de réaliser ce film, le sujet sur le traves-tissement lui tenant à cœur. Le réalisateur ren-contre alors Béla Lugosi, acteur connu pour son rôle du comte Dracula, et devient son fidèle ac-teur-ami qui l’accompagne dans ce projet, puis dans l’ensemble de la carrière d’Ed Wood. Par la suite, le réalisateur enchaîne les échecs, comme Glen or Glenda, Dolores Fullers, sa petite amie, l’encourage à persévérer et à trouver un finance-ment en dehors du système hollywoodien pour son film La Fiancée du monstre. Pour le premier rôle féminin, il rencontre Lorentta King, et à la suite d’un quiproquos, Ed Wood pense naïve-ment qu’elle a l’argent pour financer le film, ce qui n’est pas le cas.
Le tournage est alors rapidement interrompu mais réussi à trouver par miracle un autre mé-cène. Entre temps, Dolores quitte le tournage, fu-rieuse de n’avoir pas pu jouer le rôle qui avait été écrit pour elle, et ne comprend pas le travestisse-ment permanant d’Ed Wood. La malédiction Ed Woodienne continue avec son partenaire Lugosi qui fait une tentative de suicide et fini en cure de désintoxication. Wood accumule la malchance pendant le tournage de Plan 9 from Outer Space, et l’envie de tout abandonner est à son point culminant. Il rencontre alors Orson Welles, son idole, dans un bar, ce dernier lui redonne l’es-poir et l’amour du cinéma. Wood tente le tout pour le tout et termine le tournage de son film en s’accrochant à sa vision du cinéma. Le film se termine avec la première mondiale du film Plan 9 from Outer Space et part se marier avec Ca-thy. De courtes biographies révèlent ce que sont devenus les principaux personnages du film, notamment Ed Wood qui malgré quelques suc-cès, emporte la malédiction dans sa tombe, élu comme « le pire réalisateur de tous les temps ».
Film en noir et blanc afin de faire rentrer le spectateur au cœur des années 50, Tim Burton réalise une biographie intime du personnage singulier qu’est Ed Wood, afin de mettre en lu-mière un réalisateur maudit et tombé dans l’ou-bli. Il souhaite montrer à son public, comme il le fait dans la plupart de ses films, qu’un individu décalé dans sa société voire rejeté, recèle en ré-alité des qualités inestimables, notamment pour le monde de l’art. Burton s’identifie particuliè-rement à ce personnage. Au cours de sa master-class du festival Lumière, Burton a particulière-ment mis en avant le film Ed Wood comme un film spécial dans sa carrière cinématographique. Lorsque le public lui demande quel personnage est le plus proche de lui, il répond sans hésita-tion Ed Wood et Edward aux mains d’argent. Ed Wood est un personnage totalement décalé du cinéma Hollywoodien, sentiment que partage Burton qui s’est toujours senti incompris par le monde du cinéma mais aussi du public améri-cain. Il a partagé d’ailleurs son émotion sur le fait que le public français adhère particulière-ment au monde burtonien. Wood et Burton sont en réalité deux âmes artistes jumelles dans leur vision du cinéma. La seule différence entre les deux réalisateurs est que Burton a eu le succès du public, tandis que Wood reste l’artiste incom-pris et maudit.
Burton rend donc hommage à ce réalisateur, re-jeté du registre cinématographique. Il montre à travers sa sensibilité burtonnienne, qu’Ed Wood est un passionné par le cinéma et qu’il en est animé au plus profond de son être. Malgré les échecs permanents, il reste le personnage rêveur et passionné, incarné avec simplicité par Johnny Depp. Burton fait d’ailleurs des ajouts de scène qui n’existent pas dans la réelle biographie d’Ed Wood. En effet, il fait en sorte que le dernier film d’Ed Wood soit un succès à Hollywood et réalise la rencontre avec Orson Welles, son modèle ab-solu du cinéma. Burton délivre ici un message d’espoir pour tous les artistes passionné, qui font face aux obstacles du métier artistique. Ainsi, Burton a su comprendre et faire écho à la vision d’Ed Wood sur sa passion pour le cinéma, en le partageant intimement avec son propre public.
Pour partager leur amour commun pour le ciné-ma, Burton joue à mettre en scène les œuvres du réalisateur avec une précision d’orfèvre, notam-ment Plan 9 from Outer Space. Pour ce projet, Ed Wood s’entoure d’une drôle d’équipe avec de nombreux acteurs passés ou méprisés comme Bela Lugosi, la présentatrice de films d’horreur Vampira, ou entre le lutteur Tor Johnson. Bur-ton reproduit avec une fidélité indéniable le tournage autour de cette drôle de famille du ci-néma. Selon le réalisateur, ce tournage crée une famille pour Ed Wood, exactement la vision de Burton lorsqu’il réalise ses propres films. Ain-si, Béla Lugosi devient son père, Tor Johnson, Vampira et le mage Criswell ses frères et sœurs.
De plus, le réalisateur n’a pas choisi n’importe quel film d’Ed Wood : Burton a grandi avec le film Plan 9 et l’apprécie fortement avec la pré-sence de deux lieux fétiches de son enfance : l’aé-roport et le cimetière de Burbank. C’est donc un film auquel s’identifie le réalisateur de manière très forte, et réalise un hommage du tournage digne de son talent.
Le succès du film de Tim Burton est contrasté lors de sa sortie. Il décroche deux Oscar : Martin Landa dans le rôle de Bela Lugosi, décroche la statuette du meilleur second rôle. Néanmoins, le film ne se classe pas dans le box-office et décroche aucun prix au Festival de Cannes 1995. C’est en quelque sorte un premier échec commercial pour Burton. Cette réussite en de-mi-teinte n’enlève aucune le charme du film. Au contraire, elle donne à l’œuvre un côté intimiste, faisant parti du répertoire le moins connu de Burton. Le film est donc à la fois une biogra-phie d’Ed Wood mais aussi de Burton, avec de nombreux liens entre les deux réalisateurs : une vision décalée du monde réel, l’importance de la famille, et surtout, un amour inconditionnel pour le cinéma.
Au cours de sa masterclass du festival Lumière, Burton a particulièrement mis en avant le film Ed Wood comme un film spécial dans sa carrière cinématographique.