Réalisé en 1988 par Helke Misselwitz, Winter Adé, Adieu l’hiver pour la version française, est un film documentaire allemand qui rassemble les témoignages de femmes d’âges et de milieux sociaux divers, rencontrées par la réalisatrice à travers l’Allemagne de l’Est. Une fois cette courte description énoncée, autant se rendre à l’évidence, le film peut au premier abord avoir l’air plutôt austère : un documentaire des années 80 d’Allemagne de l’Est en noir et blanc, c’est loin d’être ce qu’il y a de plus attirant. Pourtant, si le film souffre parfois de quelques lenteurs, il réussit avec une grande justesse à toucher ce qu’il y a de plus beau dans une interview : un témoignage personnel et sincère sans jamais donner la sensation de s’immiscer trop loin dans l’intime.
Une des forces de Winter Adé, c’est de réussir à créer une continuité entre les interviews de ces femmes pourtant si différentes. Le film est construit autour du voyage en train de Helke Misselwitz, initié pour rencontrer les femmes de son pays. C’est ce train qui va relier les interviews et guider le spectateur tout au long du trajet, de Zwickau dans le sud du pays jusqu’à Nienhagen tout au nord. Regarder Winter Adé, c’est voyager au sens propre comme au figuré à travers l’Allemagne de l’Est des années 80 : bien plus qu’un simple fil conducteur, le film est réellement construit comme un voyage en train. Parfois on s’arrête en gare, pour une interview prévue, sur rendez-vous. Parfois, les interviews se font spontanément, au hasard des rencontres au fil du voyage, avec l’horizon qui défile derrière les vitres. Entre les deux, se succèdent des images de trains qui passent, de rails qui défilent et se croisent, jolie métaphore pour symboliser les destins qui se croisent, les chemins qui se divisent pour créer les carrefours de nos vies. Winter Adé réussit à laisser vivre en son sein une part de hasard, de chance, de destin peut-être, qui renforce l’impression de sincérité du film. C’est un film qui se construit au fil des rencontres et du hasard et qui réussit pourtant avec brio à rester cohérent.
Winter Adé, c’est aussi un film où l’intime se mêle à l’Histoire. Quand le film est tourné en 1988, un sentiment de changement profond imminent plane déjà sur l’Allemagne de l’Est. Les troupes soviétiques ayant quitté le pays, le peuple commence à manifester plus ouvertement son hostilité envers le gouvernement et ces évènements amèneront bientôt à la chute du mur de Berlin et du rideau de fer qui séparent l’Allemagne depuis plus de 30 ans. Ces événements historiques fonctionnent comme une toile de fond dans le film, ils sont mentionnés quelques fois car ils conditionnent la vie de ces femmes mais sans pour autant devenir le thème principal du film. Le vrai sujet du film ce sont bien les histoires, le quotidien, les rêves que racontent à coeur ouvert les femmes interrogées. C’est bien là toute la valeur historique du film : en rassemblant des femmes de tous les âges, de 10 à 80 ans, et de tous les milieux sociaux, d’ouvrière à politicienne, Winter Adé dresse un portrait large et très fourni des femmes d’Allemagne de l’Est qui permet de comprendre en profondeur la vie à cette époque. Interroger des femmes de tous les âges, c’est aussi mettre en lumière le gap générationnel et les évolutions dans la société qui les sépare. On sent que cette vielle dame qui fête ses noces de diamant en avouant pourtant qu’elle aurait préféré épouser un autre homme si elle avait eu le choix, ne vit déjà plus tout à fait dans le même monde que cette quarantenaire divorcée, remariée avec un autre homme depuis.
"À 40 ans, j’ai quitté le lieu où j’ai grandi pour avoir l’opportunité de découvrir comment vivent les autres, et comment ils avaient envie de vivre. Pendant le voyage, nous les rencontrerons, au travail ou chez elles, au détour d’un rendez-vous ou de manière inopinée. Parfois nous les regarderons simplement, les femmes et filles de ce pays. "
Extrait du film
Les thématiques s’enchaînent au cours de longues discussions avec ces femmes, elles parlent de leur travail, de mariage, d’enfants, de leurs rêves, au gré des questions posées par la réalisatrice et au gré du hasard, là où le fil des mots les emmène.
On s’immisce parfois plus profond, elles parlent de leurs doutes, de leurs déceptions, de leurs douleurs. Spontanées et sincères, elles semblent se livrer naturellement, sans donner, comme d’autres interviews, l’impression gênante d’avoir insisté trop fort pour obtenir des histoires personnelles dont on aurait préféré parfois qu’elles le restent. Ce sont des témoignages touchants, avec des moments de grâce, d’émotion et de poésie comme on en voit rarement au cinéma. Et au fur et à mesure, au détour d’une question, se dessine petit à petit une thématique générale qui sait se faire discrète mais pourtant bien présente : l’influence des hommes sur la vie de ces femmes. Inutile de le dire, le film est orienté vers des thématiques féministes, d’abord parce que les interviews sont exclusivement féminines et ensuite parce que les questions orientent les discussions. Mais là encore, le film réussit à introduire cette thématique avec délicatesse. Sans les y pousser, les femmes finissent toujours par évoquer d’elles-mêmes l’absence d’un père, un mari écrasant ou un travail qui laisse peu de places aux femmes.
Winter Adé est un film sincère, spontané et émouvant dont on sort avec l’impression d’avoir, tout au long du voyage, assisté à des morceaux de vies présentés intacts, quelques sièges plus loin, pendant que le paysage défilait derrière les vitres. Laissez-vous simplement porter par le film, de gare en gare, jusqu’à la mer.
Certes, le film est très difficile à trouver au cinéma, en DVD ou sur internet mais soyez en sûrs : si vous n’avez pas la chance de le voir en salle, retournez tout internet ou apprenez l’allemand s’il le faut, mais regardez Winter Adé, vous ne serez pas déçus du voyage.